Defrénois - La Revue du notariat n° 7-2014 - 22

injustice, pour peu que les valeurs se révèlent
a posteriori inégales 13.
Cela sera sensible davantage encore dans certaines situations où l'évaluation dérogatoire rencontrera sa limite.

Voilà pourquoi cette appropriation très tardive
par les donataires copartagés d'une variation de
valeur subie sera ressentie au moment du partage
successoral comme une grave injustice, source
d'inévitables tensions. La promesse d'égalité que
comporte d'ordinaire l'unanimité sera cruellement mise à mal.

II. limite : l'échappement
du temps en dépit de
l'évaluation dérogatoire
suivant l'article 1078

28. Conduite à tenir. Sensibilisé à cette situation, qui se laisse souvent pressentir, le praticien
se livrera à un exercice délicat d'anticipation. Il
proposera s'il y a lieu une solution propre à ne pas
trahir les desseins égalitaires du disposant.

25. Clauses particulières. La donation-partage

L'alternative est simple.

se montre parfois rebelle aux artifices de l'évaluation dérogatoire, qui prétend stabiliser les choses
en immobilisant les valeurs. Comme l'eau qui
court, le temps qui passe est difficile à maîtriser.
Il faut se méfier de deux clauses à cet égard
funestes : la réserve d'usufruit (A) et le saut de
génération (B).

A. Réserve d'usufruit et avatars
des plus-values
26. Clause répandue. Il est très fréquent que les

lots de la donation-partage, même lorsqu'elle est
unanime, soient grevés d'une réserve d'usufruit
au profit du donateur copartageant.
Nul ne l'ignore, le souci premier est d'alléger
l'assiette de calcul des droits de mutation à titre
gratuit.
Le second intérêt n'est pas non plus négligeable :
voilà qui permet au disposant de n'être pas
dépossédé des biens partagés, car il en conserve
la jouissance, statu quo psychologique et économique confortable, répondant parfois à une
nécessité financière.
27. incidence sur les plus-values. Hélas, encore

qu'elle ne pèse pas sur une somme d'argent, la
réserve d'usufruit est ici source de graves inconvénients.
Paradoxe : par le jeu de l'usufruit, dans un système
où chacun fait siennes les variations de la valeur
de son lot, c'est seulement à l'ouverture de la
succession que les plus ou moins-values latentes
adviendront à chaque attributaire ! Et pourtant,
elles ne sauraient faire l'objet d'aucun compte à
l'heure du partage, dès l'instant que la donationpartage est unanime.

(13) Les deux auteurs s'autoriseront de leurs racines rurales
respectives pour renvoyer ici à un adage ancestral méconnu de Loysel mais familier en Anjou comme en Limousin :
« C'est à la fin de la foire qu'on compte les bouses »...

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29. Composition étudiée des lots. Ou bien les

lots de la donation-partage peuvent être composés de biens similaires, dont on préfigure raisonnablement qu'ils connaîtront une évolution
parallèle : immeubles édifiés sur une même place,
propriétés situées dans telle ou telle province,
atelier d'un artiste, portefeuilles ou paquets de
valeurs mobilières composés à l'identique...
En ce cas, l'on pourra se fier sans vergogne à ces
perspectives d'évolution économique comparables. Il suffira de promouvoir en somme, dans
l'acte libéral, une égalité en nature des lots sourcilleuse, pour parer aux mauvaises surprises qui
résultent trop souvent de la réserve d'usufruit.
30. Choix réfléchi d'une stratégie. Ou bien, au

contraire, l'on a affaire à des biens incomparables
entre eux : nul ne peut prévoir ce qu'ils vaudront
au décès du donateur copartageant. En ce cas, les
solutions sont plus nuancées.
À l'extrême, cela peut conduire à renoncer à toute
donation-partage. Pour répondre vraiment au
vœu égalitaire du disposant qui tient à se ménager une réserve d'usufruit, il sera parfois prudent
de recourir à une collection de donations en
avance de part consenties le même jour, et assorties d'une évaluation forfaitaire du rapport à la
valeur des lots au jour de l'ouverture de la succession : rapport sera ainsi dû de toutes les plusvalues ou moins-values antérieures à l'ouverture
de la succession ; en revanche, chaque donataire
fera siennes celles survenues à compter du décès
du de cujus, qui met fin à l'usufruit 14.
Si le disposant persiste dans la donation-partage
unanime avec réserve d'usufruit, mieux vaut le
mettre en garde. Soit il conserve par-devers lui de
quoi alimenter quelques legs propres à rééquili(14) L'article 860, alinéa 4 du Code civil prévoit en effet en
ce cas que seule la différence appréciée à l'ouverture de la
succession entre la valeur du bien donné et le rapport stipulé constitue un avantage indirect hors part. Par conséquent,
si une donation est rapportable pour sa valeur au décès, il
ne saurait y avoir d'avantage préciputaire.
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