NEOMA Alumni Mag - N°37 - Décembre 2023 - 45

échanges, vente, location de biens entre individus,
reprenant à une échelle plus large les codes de
sociétés fondées sur le troc.
Tout n'est pas affaire d'algorithme ! Les échanges
de biens entre individus, via leboncoin en France
par exemple, s'accompagnent de gestes, comportements,
décisions relevant de la logistique : il faut
manutentionner, emballer, organiser le transfert,
transporter le produit pour le distribuer. Étudier les
échanges entre pairs sous l'angle des chaînes
logistiques présente un enjeu sociétal fort. Ces
échanges CtoC (consumer to consumer) sont en
effet une composante clé des marchés de redistribution
emblématiques de l'économie circulaire,
elle-même cruciale pour faire face aux conditions
climatiques anthropogéniques. Ces chaînes logistiques
mises en œuvre pour asseoir les échanges
CtoC présentent sans nul doute des spécificités
qui appellent à des modèles opérationnels spécifiques
indispensables dans un monde dont on ne
souhaite plus dépasser les limites.
LE RÔLE CRUCIAL DES CONSOMMATEURS
Il faut notamment comprendre les caractéristiques
de ces chaînes logistiques particulières, qui se
déploient entre individus connectés via ces plateformes
d'échanges de produits. À la différence des
chaînes logistiques classiques (dites forward) et
de leurs pendants « retour » (reverse), le concept
de sharing supply chain n'inclut pas le producteur/
assembleur du produit ! Elles fédèrent des
consommateurs (vendeur, acheteur ou les deux)
et deux types de fournisseurs : la plateforme d'intermédiation
(informationnelle et/ou physique) et
les prestataires de service logistiques (PSL) qui
interviennent tant au cœur des entrepôts que
pour les transports, amont et aval, des produits.
Ces chaînes ont notamment la particularité que les
consommateurs y jouent un rôle crucial, initiant et
recevant les flux physiques orchestrés par la plateforme,
choisissant entre différentes options de
transport, sélectionnant les PSL, organisant l'envoi
des colis, etc. Au sein de ces chaînes, les flux ne
circulent pas du fournisseur au consommateur
final ou de ces derniers aux entreprises de traitement/recyclage
etc., mais bien entre les consommateurs
et renferment ainsi des logiques,
économiques bien sûr, mais également sociales en
participant de la création de véritables communautés.
LA
LOGISTIQUE, FACTEUR DE CONFIANCE
L'étude de cas de la licorne française Vestiaire
Collective (VC) - cofondée par Fanny Moizant
(PGE 01), Trophée Entrepreneur NEOMA Alumni
en 2021 - qui s'inscrit dans le modèle de sharing
supply chain, est riche d'enseignements. Aux côtés
du lithuanien Vinted, VC domine le marché de l'occasion
en matière de vêtements et accessoires
avec une focalisation sur le produit de luxe. Créée
en 2009, l'entreprise a levé 156 millions d'euros sur
la période 2009-2020 et 178 millions en mars 2021.
Elle opère à l'échelle mondiale avec un référencement
de plus d'un million d'articles représentant 5
600 marques. Elle emploie plus de 400 personnes
travaillant pour les 11 millions de membres du site.
VC a superposé à son rôle - classique - d'intermédiation
digitale, une dimension d'intermédiation
logistique à travers la création d'entrepôts en
propre par lesquels transitent l'essentiel des marchandises
échangées par les binômes vendeur-acheteur.
Pourquoi ? Le coût de ces
infrastructures, notamment du dernier entrepôt
européen de 55 000 m2
de la marque, automatisé,
amène naturellement la question ! Pour y répondre,
il faut remonter à l'origine même de l'entreprise,
lorsque ses fondateurs s'inspiraient du marché des
voitures d'occasion et en analysaient les paramètres
de confiance, notamment les garanties
apportées par le garage automobile. VC a alors
créé sa propre académie chargée du contrôle de
l'authenticité, en débauchant des spécialistes au
cœur des marques ou dans les prestigieuses maisons
de vente aux enchères, en identifiant, listant,
codifiant, les signes distinctifs d'authenticité,
produit par produit ; en recensant les paramètres
de ce qu'est le « bon » ou le « très bon » état d'un
vêtement ou d'un accessoire. Bref, en inventant
des outils de contrôle. Ce travail est effectué au
sein des entrepôts et se double d'interventions - si
nécessaire - sur le produit ! Co-manufacturing,
co-packing dirait-on dans le monde logistique plus
traditionnel de l'entreprise industrielle ou commerciale
: on intervient sur le produit (réparer un
accroc, recoudre un bouton, éliminer une tâche...),
on l'emballe aux couleurs de la plateforme en identifiant
les opérateurs de contrôle. Ce faisant, on
érige la logistique au rang de facteur de confiance,
aux côtés des assurances proposées par la plateforme
et des « likes » de ses utilisateurs.
DIFFÉRENTS NIVEAUX D'INTERMÉDIATION
Cette centralisation par VC des flux échangés par
les consommateurs via des plateformes logistiques
(France, USA, Singapour) est un modèle
quasiment unique qui interroge sur les conditions
de la pertinence de l'intermédiation physique dans
le monde des échanges CtoC. L'intermédiation
Jean-Michel Huet
(PGE 97)
Associé, BearingPoint
Christine Roussat
Maître de Conférences
HDR, Université
Clermont-Auvergne
(UCA)
Valentina Carbone
Professeure, ESCP
Business School
Aurélien Rouquet
Enseignant-chercheur
en logistique et supply
chain management à
NEOMA BS
❱❱❱
Pierre Gedalge
Senior Partner,
Tasmane
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