Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Décembre 2015 - n°408 - 417

les comptes email, de créer des comptes poubelles, de donner
des fausses informations sont des manières assez modestes,
et peut-être un peu vaines, de résistance des internautes
à l'égard de la captation de leurs données. Mais les deux
sont articulés : il n'y aurait pas de calcul sans données. Les
algorithmes en eux-mêmes font des choses formidables et
des choses terribles. Comme toute technologie. Mais pour
faire des choses formidables dans l'univers numérique, il est
indispensable de prélever les bonnes informations sur les
utilisateurs. La captation de données dans la vie des utilisateurs
est la contrepartie un peu obligatoire de la pertinence des
calculs. Si on se place du côté des calculateurs, il est nécessaire
que les données soient les plus exactes possibles. Ce qui est
loin d'être le cas.

Nous sommes à un moment où il convient de les apprivoiser.
Ce mouvement a déjà commencé avec la question du
consentement du cookie.

Est-ce que le consentement qu'on donne aux cookies est
vraiment éclairé, à l'instar du consentement aux CGV ?
Dans votre livre, vous faites référence aux cookies tiers
qui sont très répandus et si peu connus du public.

Je pense qu'il y a presque un raté dans l'histoire du web,
avec l'introduction du cookie tiers dans notre navigation. Le
cookie est un mini programme placé dans le navigateur de
l'internaute par un site pour l'aider à y naviguer, lors de sa
prochaine visite. Dans l'explicitation contractuelle, même si elle
est très imparfaite et aussi jamais lue, on peut faire l'hypothèse
que l'utilisateur consent à ce
que le site garde une trace de sa
Les extrapolations ne sont pas
«
Un
des
propos
du
livre
est
de
remettre
navigation. Mais les cookies tiers
toujours justes, car les données
n'appartiennent pas au site sur
ne sont pas toujours exactes.
en cause cette mythologie, presqu'une
lequel l'utilisateur navigue mais
Un des propos du livre est
idéologie, qui s'est construite autour
à des adnetworks, des réseaux
de remettre en cause cette
des big data, qui consiste à dire que si
publicitaires qui ont des contrats
mythologie, presqu'une idéologie,
on a suivi les gens dans tous les aspects avec des milliers de sites. Ils
qui s'est construite autour des big
de leur vie, on pourrait leur donner
profitent de la visite sur un site de
data, qui consiste à dire que si
précisément ce qu'ils souhaitent avoir,
leurs réseaux pour déposer un
on a suivi les gens dans tous les
cookie tiers qui identifie l'internaute
aspects de leur vie, on pourrait
sans même l'avoir exprimé. »
sur tous les sites du réseau.
leur donner précisément ce qu'ils
Facebook les utilise. Par exemple,
souhaitent avoir, sans même l'avoir
le seul fait de visiter un site sur lequel il y a les fameux boutons
exprimé. Or, on ne capte pas tout. Certains capteurs sont très
pour partager la page, implique que Facebook reconnaît la
imparfaits. Par exemple, la mesure du sommeil est brouillée car
navigation d'un internaute, même si celui-ci n'a pas cliqué sur
les appareils sont assez imprécis. Par ailleurs, les données ne
ces boutons.
sont pas toujours très propres. Les individus rusent de plus en
De façon transversale, par le biais des cookies tiers, il y a une
plus avec ces techniques. L'univers qui se profile est en fait un
observation de la navigation des internautes, sans qu'il soit
grand bazar de données, assez sales, et du coup produisant
possible d'affirmer qu'ils aient donné leur consentement. Quand
des calculs qui sont soit imparfaits soit très triviaux. Ce n'est
un utilisateur accepte un cookie, il pense le faire pour le site sur
pas tellement que les calculs soient faux. Simplement, ils sont
lequel il se trouve mais jamais pour un réseau. Le cookie tiers
souvent si imprécis qu'ils apportent peu de plus-value.
est une anomalie et c'est lui qui fait, en partie, tenir le marché
Il était nécessaire selon moi d'expliquer la réalité des
publicitaire actuellement. A partir de toutes ces données de
calculateurs face au discours un peu scientiste sur les big data.
navigation, les robots des adnetworks placent de la publicité
Si vous aimez Bob Dylan, il y a des chances que vous appréciez
en fonction du parcours de navigation. Ils sont aussi en train
Nick Drake. Comme c'est assez logique, les algorithmes arrivent
d'articuler leur réseau avec d'autres données personnelles, en
bien à tomber juste, ce qui est moins le cas pour des prédictions
lien avec les data brockers. Rappelons qu'ils ne ciblent pas des
plus subtiles.
personnes, mais des comportements au travers de l'adresse IP.
Par ailleurs, ces mécanismes opèrent à notre insu. Ces
Mais on sait qu'avec les recoupements de données on arrive
captations et ces exploitations de données ne sont pas toujours
assez facilement à identifier les personnes.
transparentes, même si nous avons donné une sorte de
consentement par le biais des conditions générales d'utilisation.

N'atteint-on pas le comble de l'hypocrisie lorsqu'on
nous demande de donner notre consentement à travers
l'acceptation de conditions générales illisibles et
obscures .
C'est un monde en devenir. En fait, nous débarquons dans cet
univers. Nous n'avons pas beaucoup de culture critique et il n'y
a pas eu beaucoup de pédagogie de faite. Et il est sûr que les
utilisateurs ont été dupés par le système des CGU qui a tout
du consentement extorqué. De mon point de vue de sociologue,
il faut avoir une confiance assez forte dans les capacités, les
ruses, l'imagination, les détournements, les transformations,
les critiques qu'exercent les utilisateurs sur ces technologies.

Vous avez évoqué une obligation de loyauté des
plateformes. Le projet de loi pour une République
numérique comporte un article qui l'impose. N'est-ce
pas un vœu pieu ?

En partie. Mais je pense que c'est une bonne manière de poser
les bonnes questions critiques aux plateformes. Le débat a
souvent été mal posé, en termes de neutralité. L'idée sousjacente serait qu'il existerait une juste et vraie répartition et
hiérarchie de l'information, et que la neutralité consisterait à
bien la représenter. On s'imagine que derrière la neutralité, il
y aurait la vérité. C'est évidemment très naïf et peu réaliste. La
fonction d'un algorithme ne consiste pas à être neutre mais à
produire un ordre.

EXPERTISES DÉCEMBRE 2015

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