La revue RH&M - N°91 - Octobre 2023 - 27

Tendance RH / Décryptage
P-DG ou P et DG : ne pas confondre
séparation et équilibre
Le PDG semble une espèce toujours
plus menacée. Le modèle
de gouvernance dissociée, faisant
cohabiter un président du conseil
d'administration et un directeur
général, est désormais largement
majoritaire au sein du CAC 40.
La Place de Paris promeut en
effet la dissociation des fonctions
depuis des années, au nom de
codes fondés sur une croyance
ancrée dans l'esprit du capitalisme
français qu'un pouvoir partagé est
un pouvoir équilibré. Cela ne se
vérifie pas toujours.
En effet, la dissociation ne fonctionne
au bénéfice d'une société
qu'au regard des personnes qui
l'animent - président et directeur
général - et qu'à hauteur de leur
compréhension de leurs pouvoirs
et rôles respectifs, de leur complémentarité
et de leur confiance
réciproque. Ce point est essentiel
et il faut rendre hommage à l'AMF
de le rappeler sans détour.
Pourtant,
s'il faut en matière
d'organisation des pouvoirs se
garder de tout dogmatisme, le
marché n'est parfois pas dénué
de paradoxes : conscient qu'une
gouvernance doit évoluer au fil de
la vie de l'entreprise, il ne considère
pourtant qu'une seule évolution,
celle du passage du modèle
moniste au modèle dualiste. Le
moment opportun pour cette mue
serait - le plus souvent - celui de
la succession du PDG, a fortiori si
celui-ci est le fondateur de l'entreprise.
Il devrait alors accepter
sa mise en retrait et une diminution
de ses pouvoirs et devenir,
presque naturellement, président
de la nouvelle organisation. On
ne compte plus les échecs de cette
démarche qui semble oublier la
difficulté pour un ancien PDG de
« lâcher les rênes et la bride » au
profit d'un alter souvent considéré
comme un rival.
Caroline RUELLAN
Présidente - SONJ CONSEIL
Pour autant, la constance avec
laquelle l'écosystème réclame
la dissociation des fonctions est
compréhensible, tant un degré
supplémentaire de séparation
des pouvoirs semble être le bon
remède aux excès des dirigeants.
Pourtant, cette attitude procède
d'une incompréhension des rôles
et pouvoirs respectifs des organes
sociaux, déjà organisés selon une
séparation des pouvoirs efficace
s'ils fonctionnent à plein, sans
qu'il soit nécessairement besoin
de séparer encore.
À cet égard, il est bien de rappeler
que, dans une gouvernance unifiée
comme dissociée, le conseil d'administration
est le seul organe
qui, collégialement, « détermine
les orientations de l'activité de
la société et veille à leur mise en
œuvre, conformément à son intérêt
social », selon l'article L.225-35
du Code de commerce. De même,
quel que soit le modèle choisi, il
revient au président du conseil
d'administration la responsabilité
majeure d'animer celui-ci.
C'est finalement au nom de l'intérêt
social que le choix du modèle
de gouvernance doit être fait et
non en fonction de modes. Il est
indispensable que cette question
soit traitée par les investisseurs, en
retenant une vision agnostique et
pragmatique. La dissociation n'est
pas synonyme de « bonne gouvernance
» en elle-même ; de même,
satisfaire aux recommandations
des codes de Place et obtenir de
bonnes notations ESG n'immunise
pas les sociétés contre les crises
internes.
La gouvernance ne relève pas
de la compliance mais organise
l'exercice du pouvoir, par essence
incarné. Son succès ou son échec
est d'abord celui des femmes et des
hommes qui l'exercent.
LA REVUE RH&M N°91 | OCTOBRE 2023 | P.27
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