La revue RH&M - N°90 - Juillet 2023 - 60

| À VOUS DE LIRE |
Quand la parole détruit
Monique ATLAN est journaliste et essayiste
Roger-Pol DROIT est philosophe et écrivain
Auteurs de " Quand la parole détruit " - Éditions de l'Observatoire
Qu'arrive-t-il, aujourd'hui, à la parole ? Les
fake news prolifèrent, les violences verbales
explosent, les débats se transforment en
invectives. Au sein des entreprises, les
tensions se multiplient. Au même moment,
pour la première fois dans l'histoire, des
machines répondent à la voix, génèrent des
discours, fabriquent des propos ressemblant
aux nôtres à s'y méprendre. Décrire
ces métamorphoses de la parole est important,
mais ne suffit pas. Il faut aussi tenter
d'en comprendre les causes, d'en mesurer les
risques, de proposer des pistes pour éviter le
pire. C'est ce que font la journaliste Monique
Atlan et le philosophe Roger-Pol Droit dans
leur quatrième livre à quatre mains.
Dans cet essai où les questions d'actualité sont
éclairées par une multitude d'arrière-plans,
le parcours rappelle l'importance fondatrice
de la parole. Sans elle, pas d'humanité, pas
de transmission, de société ni de culture. Elle
constitue notre « super-pouvoir ». Mais cette
puissance cruciale est à double face : elle peut
construire ou détruire, rassurer ou effrayer,
donner confiance ou paralyser. De longue
date, les cultures du monde ont analysé le
versant toxique de la parole, et édicté des
règles strictes pour endiguer la médisance, la
calomnie et leurs effets dévastateurs.
Car les mots peuvent tuer, aussi sûrement
que des flèches. Pour preuve, les suicides
pour cause de harcèlement, à l'école comme
dans les entreprises. Des mots qui se croient
souvent sans conséquences inaugurent les
violences racistes, antisémites, misogynes,
homophobes et autres. Les génocides du XXe
siècle - de la Shoah au Rwanda - prennent
leur source dans une parole qui dévalorise,
déshumanise et annule ceux qu'elle préconise
d'éliminer.
" Car les mots peuvent
tuer, aussi sûrement
que des flèches. "
Comment analyser la situation actuelle ?
La connexion permanente et l'emprise des
réseaux sociaux ne créent évidemment pas la
haine, mais lui donnent une autre dimension,
une puissance de diffusion sans précédent.
Malgré tout, ce n'est pas seulement le monde
numérique qu'il faut scruter, comme s'il était
la cause unique des tensions qui s'intensifient.
Mieux vaut interroger ce que nous, les usagers,
faisons de cet outil, autant pour construire des
solidarités que pour répandre la violence.
Les changements dans les mentalités sont aussi
décisifs que les mutations technologiques.
On observe une tendance fantasmatique
croissante à se délester du corps, du collectif,
voire de ses responsabilités. L'affirmation de
soi, l'absence d'écoute des autres, l'annulation
de leur existence mettent en péril l'économie
de parole, faite d'interactions, d'échanges, de
désaccords assumés.
Refusant tout catastrophisme, les auteurs
appellent à retrouver le sens de la responsabilité.
Responsabilité juridique, avec les
politiques de régulation des réseaux, mais
surtout responsabilité morale, individuelle,
qui incombe à chacun de nous.
P.60 | JUILLET 2023 | N°90 LA REVUE RH&M
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