La revue RH&M - N°90 - Juillet 2023 - 34

Performance sociale
CONSEILS EN DROIT SOCIAL
Licenciement nul même en l'absence de
dénonciation formelle des faits de harcèlement
avant l'engagement de la procédure
ment, la qualification de harcèlement
moral.
NICOLAS
MANCRET
Avocat Associé,
JEANTET - AVOCATS
Dans un arrêt le 19 avril 2023 (Cass.
Soc., 19 avril 2023, n°21-21053) opérant
un revirement de jurisprudence aux
conséquences non négligeables, la Haute
Juridiction juge désormais que : « le salarié
qui dénonce des faits de harcèlement
moral ne peut être licencié pour ce motif,
peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits
faits de harcèlement moral lors de leur
dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle
ne peut résulter que de la connaissance
par le salarié de la fausseté des faits qu'il
dénonce. »
L
'article L.1152-1 du Code du travail
instaure une immunité au
bénéfice du salarié qui dénonce
des faits de harcèlement moral,
en interdisant notamment de le
sanctionner ou de le licencier pour avoir
témoigné de tels agissements ou les avoir
relatés. Un licenciement prononcé pour
un tel motif est nul de plein droit (C. trav.
Art. L.1152-3).
La Cour de cassation jugeait jusqu'à présent
que le salarié ne pouvait bénéficier
de la protection contre le licenciement
tiré d'un grief de dénonciation de faits
de harcèlement moral que s'il avait luimême
qualifié les faits d'agissements de
harcèlement moral (Cass. Soc., 13 septembre
2017, n°15-23.045). En pratique,
cela impliquait que pour bénéficier de la
protection contre les agissements répréhensibles
qu'il dénonçait, le salarié devait
revendiquer expressément et formelleP.34
| JUILLET 2023 | N°90 LA REVUE RH&M
En l'espèce, une salariée avait été licenciée
pour faute grave car il lui était reproché
d'avoir « gravement mis en cause l'attitude
et les décisions prises par le directeur » et
« porté des attaques graves à l'encontre de
plusieurs de ses collègues » dans un courrier
adressé au conseil d'administration
de l'association qui l'employait. Or, dans
ce même courrier, elle avait illustré plusieurs
faits ayant entraîné, selon elle, une
dégradation de ses conditions de travail
et de son état de santé mais sans jamais
évoquer formellement une situation de
harcèlement.
Dans la notice au rapport relative à l'arrêt
du 19 avril 2023, la Cour de cassation
justifie ce revirement de jurisprudence en
explicitant que « le principe de l'égalité des
armes conduit à permettre au salarié de se
prévaloir, devant le juge, de la protection
contre le licenciement, quand bien même
il n'aurait pas lui-même employé les mots
« harcèlement moral » pour qualifier les
faits dénoncés. En outre, cette solution
est en cohérence avec la protection conférée
au salarié licencié pour un motif lié à
l'exercice non abusif de sa liberté d'expression,
dont le licenciement est nul pour ce
seul motif, à l'instar du licenciement du
salarié licencié pour avoir relaté, de bonne
foi, des agissements de harcèlement. »
Une limite est toutefois posée par la Cour
de cassation à la mise en œuvre de cette
nouvelle solution : l'employeur ne doit
pas pouvoir légitimement ignorer que le
salarié dénonçait des faits de harcèlement
moral, à la lecture des écrits du salarié.
En d'autres termes, il appartiendra aux
juges du fond d'examiner au cas par cas,
si le courrier de dénonciation du salarié et
les faits qui sont relatés doivent s'analyser
comme une dénonciation d'une situation
de harcèlement.
En pratique, cela signifie que la nullité du
licenciement pourra être prononcée par
les juges du fond dès lors que le salarié
se plaindra d'un comportement répréhensible
à son égard sans pour autant le
qualifier de harcèlement moral, à condition
que les faits énoncés puissent être
qualifiés de harcèlement moral et que
leur dénonciation auprès de l'employeur
soit évidente.
Enfin, au regard de l'importance de cette
décision, il peut être intéressant de relever
qu'elle a été rendue au visa de l'article
L.1152-2 du Code du travail dans sa rédaction
en vigueur avant sa réécriture
par la loi relative à la protection des lanceurs
d'alerte. Cette solution semble donc
transposable à la dénonciation de faits de
harcèlement sexuel dans la mesure où la
rédaction des articles L.1153-3 et L.1153-4
du Code du travail est similaire.
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