La revue RH&M - N°90 - Juillet 2023 - 20

REGARDS CROISÉS | RENCONTRE AVEC MATHIEU LAINE
Mathieu LAINE
Président de Altermind
de découvrir les invariants humains,
entre courage et lâcheté, curiosité et intolérance,
générosité et cupidité. La fable
de Roy Lewis Pourquoi j'ai mangé mon
père nous montre ainsi des hommes préhistoriques
dont le comportement et les
préoccupations diffèrent peu des nôtres :
hier comme aujourd'hui, il est tentant de
préférer le repli sur soi et le communautarisme
à l'échange et à l'innovation.
LA COMPAGNIE DES VOYANTS
Éditions Grasset
Propos recueillis par :
Delphine LANCEL, Directrice Générale du Groupe RH&M
Patrick PLEIN, Directeur des Richesses Humaines - VINCI Energies
France Building Solutions & Industrie et Président de l'OGT
Delphine LANCEL | Pourquoi ce livre
et pourquoi maintenant ? C'est à la
fois un cri et un baume ?
Je n'aurais pas dit mieux ! Face à la complexité
de l'époque, il nous faut nous
armer des bonnes boussoles. Les grands
romans, on l'oublie trop souvent, en font
partie. Ils forment un chemin de lumière
vers une meilleure compréhension de soi,
du monde et des autres et nous prémunissent
des simplismes. Mon livre est une
déclaration d'amour autant qu'une invitation
à lire et à relire tant, en plongeant
dans d'autres vies que la nôtre, on accomplit
la plus belle des démarches en faisant
un pas vers l'autre, et l'autre vers soi.
Patrick PLEIN | Quel lien entre vos différents
livres ? Il y a manifestement
un chemin... ?
Le fil, c'est la liberté ! La liberté est trop
souvent regardée de travers, comme
définitivement acquise alors qu'elle peut
s'éteindre. C'est le legs le plus précieux
de notre civilisation. Dans le Dictionnaire
amoureux de la liberté (Plon, 2016), je lui
déclarais ma flamme tout en offrant déjà
plusieurs entrées aux auteurs qui m'ont
accompagné et éclairé : Raymond Aron,
Charles Baudelaire, Mikhaïl Boulgakov,
P.20 | JUILLET 2023 | N°90 LA REVUE RH&M
Milan Kundera, George Orwell, Marcel
Proust... La lecture est indissociable de
la défense de la liberté : lire cultive notre
esprit critique en nous confrontant à la
singularité d'un regard différent et nous
conduit à penser par nous-mêmes, en
adultes responsables. La compagnie de
ces « voyants », comme le disait Rimbaud
des poètes, nous fait grandir au quotidien
et s'avère un antidote puissant aux mécanismes
d'infantilisation que je dénonçais
déjà dans La Grande Nurserie (JC Lattès,
2006) ou plus récemment dans Infantilisation
- cet État-nounou qui vous veut du
bien (Presses de la Cité, 2021). La lecture,
c'est aussi l'apprentissage des dangers de
la tyrannie et des vertus salvatrice de l'art,
à l'opposé du petit roi voulant, par jalousie,
interdire la musique que je dépeins dans
mon conte musical pour enfants sur une
musique sublime du compositeur Karol
Beffa, Le Roi qui n'aimait pas la musique
(Gallimard Jeunesse, 2017).
Delphine LANCEL | Que nous apprennent
les romans sur la société d'aujourd'hui
?
« Un classique est un livre qui n'a jamais
fini de dire ce qu'il a à dire » écrit Italo
Calvino. Les grands romans nous offrent
Patrick PLEIN | Certains livres
semblent quasi prémonitoires ? Pourriez-vous
nous en donner quelques
exemples ? (Ici, ou dans le monde, US,
Iran, Russie...)
Lisez ou relisez La Tache de Philip Roth,
paru en 2000 : il nous avertissait déjà
des dérives du futur « wokisme » et de
la « cancel culture ». La publication des
œuvres « corrigées » de Roald Dahl ou
d'Agatha Christie donne raison à Roth.
Autre exemple, Les Démons, de Dostoïevski
: la tyrannie n'a pas d'âge et le portrait
que dresse le romancier des terroristes
anarchistes préfigure le cynisme meurtrier
de Poutine. Dostoïevski sonde l'âme du
nihiliste Piotr Verkhovensky comme nous
tentons de décrypter le dirigeant russe,
« essayant de lire dans ses yeux fous ».
Les univers dystopiques d'un Philip K.
Dick ou d'un George Orwell explorent les
dévoiements du monde moderne et notre
capacité à abandonner la liberté au profit
de mythes se retournant contre nous.
Delphine LANCEL | Votre livre évolue
de « l'aveuglement » vers « viser
haut » et fait référence à un cycle que
nous avons déjà connu dans notre
histoire. Aujourd'hui, nous semblons
en pleine régression, et être de retour
au stade de l'aveuglement ? Comment
l'expliquer ?
Sans doute parce que les Lumières se
font plus lointaines au fur et à mesure
que l'Histoire s'accélère : nos sociétés ont
connu plus de bouleversements ces cent
dernières années que dans l'ensemble
de l'histoire de l'humanité. Les cycles
courts sont de retour. La sécularisation,
la mondialisation, la question écologique
et l'intelligence artificielle générative
sont autant de facteurs qui conduisent les
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