La revue RH&M - N°87 - Octobre 2022 - 12

LE GRAND ENTRETIEN
Tant qu'on ne permettra pas aux
femmes de ne pas avoir à faire ce
« pas de côté », de ne pas avoir à
choisir, de ne pas pouvoir assumer
à la fois une vie personnelle et une
vie professionnelle, certaines d'entre
elles continueront de faire « un pas de
côté » pendant leur parcours professionnel
; d'autres, comme c'est le cas
des nouvelles générations, prendront
des décisions sur leur vie personnelle,
comme le choix de ne pas faire d'enfants.
L'idée de la loi que j'ai portée
est donc de libérer ces possibilités, de
créer un équilibre dans la société et
dans les entreprises, qui plus est profitable
à notre économie.
Comment va-t-on faire pour
préparer les hommes à partager
le pouvoir ?
Je trouve que c'est important que les
DRH fassent bien comprendre aux
hommes qu'on ne va pas les mettre
dehors pour les remplacer par des
femmes. Et c'est important de souligner
que cela ne va pas se faire en un
jour, c'est un rattrapage sur 10 ans...
Ensuite, il faut leur démontrer que
la féminisation des instances dirigeantes
est un atout d'attractivité
pour l'entreprise : de recrutement et
de développement. Je crois que les
entreprises dont les instances dirigeantes
ne reflètent pas la diversité de
la société ne se donnent pas l'opportunité
de construire un avenir durable.
Tout cela n'est pas une guerre de sexe,
mais simplement le retour à un équilibre
aux bénéfices de tous.
On observe à l'heure actuelle
une majorité de femmes
nommées en tant que DG
pour des grandes entreprises
(Orange, Engie, Décathlon, etc.).
Est-ce le signe pour vous d'une
véritable révolution ?
Et c'est également le cas dans la vie
politique ! Oui, c'est un bon signe.
J'espère que les femmes qui accèdent
à des places à responsabilité n'enlèvent
pas l'échelle derrière elles, mais
la laissent pour les suivantes. Il faut
que les femmes se tendent la main
entre elles. Je crois qu'effectivement,
il y a une forme de mentorat, de « rôle
modèle », et c'est important pour que
les jeunes femmes puissent s'identifier
et se dire que c'est possible.
En tant que force de
proposition : Souhaitez-vous
évoquer 3 ou 4 suggestions
s'adressant aux entreprises/
DRH, d'une part, et aux femmes,
d'autre part, pour faire évoluer
la situation ?
La première chose, c'est que je suis
assez étonnée qu'il y ait autant de
coaching pour les femmes ; pour les
accompagner à, potentiellement,
accéder à des postes à responsabilité.
Je suis étonnée parce que ces coaching
ne sont proposés qu'aux femmes ; ils
ne sont pas proposés aux hommes. Et
pourtant tous les chiffres montrent
que les femmes sont davantage diplômées
que les hommes. Je m'interroge
sur toutes ces formations qui, à mon
sens, envoient un mauvais signal aux
femmes en leur disant qu'elles ont
besoin d'être coachées et que sans,
elles n'y parviendront pas. Je pense,
au contraire, que c'est l'économie qui
a besoin d'être coachée pour se libérer
des stéréotypes qui la contraint.
À l'échelle de toutes les entreprises,
il y a des talents. C'est donc aux DRH
de repérer ces talents pour, non pas
de les coacher, mais faire en sorte
qu'elles restent dans l'entreprise,
qu'elles s'y sentent bien en les aidant,
par exemple, à concilier leur vie pro
et perso.
La deuxième chose, c'est de prendre
conscience du sexisme que l'on ne
voit parfois plus et de lutter contre.
Cela peut aller de la petite phrase, du
comportement, de l'attitude jusqu'à la
violence. Il y a, dans certains secteurs,
le sexisme quotidien qui fait que les
femmes, au bout d'un moment, se
sentent à l'étroit et décident d'aller
voir d'autres secteurs où il y a plus
de femmes. Il faut veiller à ce que les
femmes se sentent à leur place dans
les secteurs masculins.
Enfin, pour ce qui est de la bonne
application de la loi que j'ai portée,
c'est important de faire comprendre
aux DRH qu'elle prévoit plusieurs
jalons avant le quota final. La loi
accompagne. Le premier jalon était au
1er
septembre avec la publication sur
les outils de communication de l'entreprise
d'un état des lieux de la mixité
de leurs cadres dirigeants et instances
dirigeants. En mars 2023, cet état des
lieux devra être publié sur le site du
ministère du Travail... Encore une
fois, l'objectif est d'accompagner les
entreprises qui peuvent féminiser
leurs équipes. En revanche, celles qui
voudraient et qui seraient très déterminées
à le faire, mais qui seraient
confrontées à des difficultés pour des
raisons externes, la loi le prévoit et
elles ne seront pas sanctionnées.
P.12 | OCTOBRE 2022 | N°87 LA REVUE RH&M
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