La revue RH&M - N°87 - Octobre 2022 - 11

LE GRAND ENTRETIEN
mètre de l'égalité femmes-hommes
dans l'ensemble des établissements
du supérieur. L'idée étant d'arriver
à une meilleure mixité des filières
de formation. Avec les exigences que
pose la loi que j'ai voulue, nous préparons
« le pipeline » pour les entreprises
afin qu'elles puissent féminiser
à la fois leurs cadres dirigeants et leurs
instances de direction.
Pensez-vous que l'accès des
femmes au CODIR va rendre
l'entreprise plus performante ?
Pour quelles raisons ?
Oui, j'en suis convaincue. Le sujet
n'est pas tant de dire que c'est une
quête qui permet l'égalité entre les
femmes et les hommes. C'est également
un sujet de performance pour
les entreprises. C'est une manière de
se réinventer. Principalement pour
l'ouverture sur le recrutement : le fait
d'ouvrir un entre-soi, de permettre la
multiplicité des acteurs.
Aujourd'hui, seuls 18 des 87 secteurs
professionnels sont considérés
comme mixtes. Nombreux sont les
secteurs qui éprouvent de réelles difficultés
pour recruter ; la féminisation
des instances dirigeantes constitue, en
ce sens, un signal fort indiquant aux
femmes qu'elles peuvent aussi travailler
dans des entreprises historiquement
masculines. C'est une manière
aussi de pousser ces entreprises à
considérer un nouveau vivier de candidates
et revoir leur fonctionnement
RH. Car très souvent se posent des
questions très pratiques comme prévoir
des infrastructures adaptées (toilettes,
vestiaires, matériel adapté aux
plus petites tailles...).
La sensibilité féminine est
probablement un atout en
matière de réinvention de
l'entreprise. Qu'en pensez-vous ?
Je ne crois pas tellement à la « sensibilité
» féminine. En revanche, je suis
convaincue que la diversité est un vrai
atout en matière de réinvention !
Concernant les quotas, est-ce
qu'on ne prend pas le risque
de « parachuter » les femmes
vers les instances dirigeantes
même si elles ne sont pas
véritablement compétentes ?
Je ne crois pas du tout, sérieusement,
que l'on puisse promouvoir, dans une
instance de direction d'une entreprise,
une femme qui n'aurait pas les
compétences de pouvoir agir.
En revanche, ce que je sais, c'est
qu'il y a des femmes qui sont compétentes,
très bien formées mais qui,
pour diverses raisons, ne peuvent
pas accéder aux instances de direction.
Parce que leur cheminement à
l'intérieur de l'entreprise n'est pas
adapté à leur parcours. Je prends
l'exemple de l'Armée. Pour pouvoir
être Général, il faut faire l'Ecole de
Guerre. Or, cette école n'était accessible
qu'à une certaine tranche d'âge,
fourchette qui correspondait généralement
à la période où les femmes ont
des enfants. Pour féminiser davantage
son commandement, l'Armée a donc
élargi la fenêtre pour pouvoir intégrer
l'école de guerre. C'est la même
chose dans les entreprises. À partir
du moment où l'on veut des femmes
dans les comités de direction, on doit
s'assurer qu'il n'y a pas de problématique
en amont pour pouvoir les faire
cheminer.
La loi Rixain peut-elle
s'appliquer aussi facilement
dans les grandes entreprises
(et celles internationales)
que dans les ETI ?
Il n'y a pas de proportionnalité du
quota en fonction du secteur ou de la
féminisation du secteur. C'est important
parce que la problématique est
bien celle de la performance. Effectivement,
le seuil, c'est 1 000 salariés.
J'avais pris cet engagement
notamment avec les organisations
patronales. Pourquoi 1 000 salariés ?
Parce que je ne voulais pas, après mes
échanges avec Delphine d'Armazit,
contrairement à la loi Copé-Zimmermann,
cibler uniquement les
entreprises cotées. Ce n'était pas une
prise pertinente : de grandes entreprises
peuvent ne pas être cotées et
d'autres se détourner de la cotation
pour échapper au dispositif. Il fallait
un seuil de déclenchement clair,
simple et sur lequel on ne joue pas.
Par ailleurs, les entreprises cotées
sont soumises à des obligations ESG
qui prennent en compte la problématique
de la mixité.
Il me semble totalement réaliste
qu'une ETI de plus de 1000 salariés
puisse se mettre aux normes d'ici 10
ans. Elle a le temps de pouvoir anticiper,
de réfléchir. Je crois qu'il en va du
développement et de la performance
de ces ETI.
Est-ce que les femmes ont moins
d'ambition que les hommes ? Le
résultat de l'étude « Un pas de
côté des Femmes Dirigeantes »
réalisée par l'ESSEC (et Viviane
DE BEAUFORT) questionne le
désir des femmes de monter
dans les instances de pouvoir.
Qu'en pensez-vous ?
Je connais de très nombreuses
femmes à fortes convictions qui ont
une vision claire de l'entreprise pour
laquelle elles travaillent et qui souhaiteraient
pouvoir s'investir encore
davantage.
Et donc pourquoi est-ce difficile
aujourd'hui pour ces femmes ? Parce
que la société fait peser sur elles
la charge domestique et la charge
parentale, le rôle de la « mère parfaite
». Avec les réseaux sociaux,
on voit à quel point il est important
d'avoir des foyers bien rangés, des
enfants magnifiques qui parlent
trois langues... Et en même temps,
vous souhaitez vous développer dans
votre entreprise... Effectivement, à un
moment donné, cela devient difficile,
donc elles se sacrifient. Mais ce n'est
pas pour autant qu'elles ont moins
d'ambitions.
LA REVUE RH&M N°87 | OCTOBRE 2022 | P.11
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