La revue RH&M - N°85 - Avril 2022 - 66

Le coup de gueule d´Hervé SÉRIEYX
Ikikomori : un
syndrome français ?
Je serai triste comme un saule
Quand la mort qui partout me suit
Me dira la main sur l'épaule
« Vas-t-en voir là-haut si j'y suis »
L
es plus âgés d'entre nous doivent le reconnaître :
durant cette crise du Covid, dans leur perfection
stylistique, ces quatre vers de Georges Brassens
sont souvent revenus frapper à la porte de nos
consciences. Et pour essayer de fuir la menace
suprême, nous aurons été parfois tentés de
succomber au syndrome d'Ikikomori, ce mal
étrange qui touche, dit-on, en nombre croissant,
tant de nos amis japonais : ceux-ci - essentiellement des
hommes- se replieraient sur eux-mêmes, ne sortiraient plus de
chez eux, ne rencontreraient plus leurs concitoyens et se laisseraient
aller à une tristesse et à une solitude également morbides.
Devons-nous craindre que la société française soit durablement
contaminée par ce syndrome mortifère du repliement ? De
nombreux signes pourraient le laisser penser : ces antivax qui
se rencognent dans leurs surprenantes certitudes , ces candidats
électoraux qui cherchent à nous rapatrier dans le camp sinistre
et sectaire d'un « c'était mieux avant », ces militants de tous
les enfermements religieux et communautaristes, ce désespérant
« wokisme » qui, réduisant chacun à son essence formelle,
(l'homme, blanc, occidental, hétérosexuel serait, par essence , machiste,
raciste, colonialiste, homophobe), ce qui renverrait toute
société à un affrontement définitif et sans espoir entre prédateurs
et victimes, un monde marqué par un effroyable déterminisme
dont seraient exclues, par définition, la liberté, l'égalité et la
fraternité. Le Covid nous aurait-il tous emprisonnés dans ces
enfermements stériles, destructeurs de tous nos liens sociaux ?
Heureusement, en ces premiers mois de 2022, de Rois Mages
et de Pâques, il y a, en France, de l'Étoile dans l'air ! Rappelons
d'abord que dans notre pays, réduit comme tous les acteurs de
la mondialisation économique, à cette priorité mono maniaque
de l'efficacité, du rendement et des parts de marché, nous avons
P.66 | AVRIL 2022 | N°85 LA REVUE RH&M
pourtant su faire passer, avec le « Quoi qu'il en coûte », la protection
de la vie avant la défense de l'argent public si sacro-saint
soit-il. Notons également qu'en ces temps d'utilitarisme omniprésent,
nous nous serons efforcés de protéger en priorité les
« économiquement inutiles » (les séniors, ceux qui sont affectés
de co-morbidités lourdes, les plus fragiles...). Soulignons enfin
que la bataille contre le Covid nous aura permis de nous affranchir
de cette attitude gouvernementale, parfois profondément
réductrice et socialement contre productive, du centralisme républicain
(qui est censé imposer toujours les mêmes décisions
de Dunkerque à Perpignan et de Strasbourg à Brest, quelles que
soient les spécificités des contextes) : nous avons su apprendre à
tenir compte de la diversité des situations sanitaires dans chaque
territoire : une bonne expérience pour cheminer, un jour, vers une
authentique décentralisation et nous libérer du corset paralysant
du « tout vient de Paris et de la même façon pour tout le monde »
qui étouffe tant l'énergie vitale du pays. Qu'on me permette de
rappeler ici ce cri du coeur qui m'avait échappé alors que je présentais,
dans les années 1990, les conclusions d'un rapport que
l'on m'avait alors demandé de présider sur la modernisation de
l'Etat : « La France est un pur sang, monté par un jockey obèse
qui se prend pour le cheval ».
Décidément, en dépit de nos petites batailles gauloises à somme
nulle entre vaccinés et non vaccinés, des sinistres discours électoraux
qui vantent le retour à hier et de la marginalisation de
ceux qui nous sont différents, mais aussi en dépit des niaises et
réductrices idées d'un wokisme venu d'universités américaines,
intellectuellement en panne, le syndrome d'Ikikomori ne nous
menace guère. Non seulement la société française ne se replie
pas sur ses misères ni ne se rétrécit au lavage dans le grand bain
du Covid, mais, dans l'épreuve, s'allument de belles lumières au
ciel de notre pays : la vie prime sur les sous, les plus fragiles sont
notre premier trésor, la diversité des situations implique la diversité
des réponses.
Quand la pandémie s'éloignera définitivement, la France aura
grandi.
Hervé SÉRIEYX
Co-auteur de " Alarme, citoyens ! Sinon, aux larmes !
(Manifeste pour une France vénitienne) "
La revue RH&M - N°85 - Avril 2022

Table des matières de la publication La revue RH&M - N°85 - Avril 2022
