La revue RH&M - N°84 - Janvier 2022 - 34

Performance sociale
Conseils en droit social
Le Contrôle des salariés par
Vidéosurveillance
irrecevables et pourraient sous certaines
conditions être utilisés à l'appui d'une procédure
de licenciement.
NICOLAS
MANCRET
Avocat Associé,
Jeantet - avocats
En l'espèce, un employeur avait licencié un
salarié pour faute grave (sous facturation de
produits et négligences dans la tenue de la
caisse). Les faits avaient été découverts aux
moyens des caméras dont le salarié avait
connaissance, de sorte que l'enregistrement
n'avait pas été pratiqué à son insu. La Cour
d'appel avait jugé que le licenciement pour
faute grave était justifié et que les enregistrements
étaient recevables notamment parce
que la loi du 21 janvier 1995 autorise l'utilisation
de systèmes de vidéosurveillance dans
les lieux ouverts au public et exposés à des
risques d'agression ou de vol.
D
ès lors qu'un dispositif de
contrôle a pour finalité de surveiller
l'activité des salariés,
sa mise en place nécessite
d'une part l'information et
la consultation préalable du CSE (C. trav.
art. 2312.38), et d'autre part l'information
expresse et individuelle des salariés
(C. trav.1222-3) ; aucune information concernant
personnellement un salarié ne pouvant
être collectée par un dispositif qui n'a pas
été porté préalablement à sa connaissance
(C. trav. 1222-4). En outre, le dispositif doit
respecter le Règlement général sur la protection
des données personnelles dit RGPD
(Règl. UE n°2016/679) et, a minima, la loi
n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique,
aux fichiers et aux libertés.
Dans un arrêt du 10 novembre 2021 (Cass.
soc. 10 nov. n°20-12.263), la Cour de cassation
vient apporter des précisions nouvelles
en jugeant que des enregistrements qui auraient
été obtenus de manière illicite par
l'employeur ne seraient pas nécessairement
Certes, les salariés avaient effectivement été
informés de l'existence d'une vidéo-surveillance
par une note de service. Néanmoins, la
double finalité du dispositif - à savoir tant
la sécurité de l'entreprise que la surveillance
des salariés à leur poste de travail - n'avait
été signifiée ni aux salariés, ni au CSE. C'est
donc fort logiquement que dans cette affaire,
la Haute juridiction a censuré l'arrêt
de la Cour d'appel en estimant que les enregistrements
de vidéo-surveillance litigieux
constituaient une preuve illicite.
Pour autant, la Cour de cassation précise
que l'illicéité du moyen de preuve n'entraine
pas nécessairement son rejet des débats, le
juge devant apprécier si l'utilisation de cette
preuve a porté atteinte au caractère équitable
de la procédure dans son ensemble en mettant
en balance le droit au respect de la vie
personnelle du salarié protégé par l'article 7
de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et le droit à la preuve
consacré dans un important arrêt de principe
(Civ. 1re, 5 avr. 2012 n° 11-14.177).
L'arrêt du 10 novembre 2021 réaffirme
que le droit à la preuve peut justifier la production
d'éléments portant atteinte à la vie
personnelle du salarié à deux conditions :
d'une part la production doit être indispensable
à l'exercice du droit à la preuve, d'autre
part, l'atteinte doit être strictement proportionnée
au but poursuivi.
Plusieurs observations peuvent être tirées de
cet arrêt. Sur le plan de l'opportunité, une
telle décision peut laisser perplexe : la Cour
de cassation affirme fermement le caractère
illicite d'un enregistrement de vidéo-surveillance
pour limiter immédiatement les effets
de cette illicéité en admettant leur production
en justice.
Ensuite, la chambre sociale renforce, par cet
arrêt s'inscrivant dans le sillon d'un arrêt du
25 novembre 2020 (Cass. soc. 25 novembre
2020, n°17-19.523) sa jurisprudence relative
aux conditions de recevabilité des modes de
preuves illicites. Reste à savoir, si celles-ci
s'appliquent à tous les modes de preuves
illicites.
Cette décision ne doit évidemment pas relâcher
la vigilance des entreprises dans le
respect des formalités à accomplir avant
d'introduire des outils de contrôle comme
la vidéosurveillance, le suivi des emails ou la
géolocalisation. Néanmoins, si l'employeur
a failli dans le respect des procédures d'introduction
de tels dispositifs, le juge est
désormais fondé à examiner si l'utilisation
de cette preuve a porté atteinte au caractère
équitable de la procédure. Une solution d'opportunité
bienvenue qui consistera à prendre
en considération à la fois le droit de la preuve
et le respect de la vie privée du salarié. Cette
solution offre une solution de « repêchage »
in extremis que l'on peut saluer.
P.34 | JANVIER 2022 | N°84 LA REVUE RH&M
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