La revue RH&M - N°84 - Janvier 2022 - 22

Tendance RH / Décryptage
RH et évolution
Qui aurait imaginé, hormis quelques
anthropologues évolutionnistes, que
nos sociétés humaines pouvaient
changer aussi vite ? Certainement
pas les économistes et encore moins
les prospectivistes. Pourquoi ? Tout
simplement par ignorance de ce
qu'est l'évolution et plus particulièrement
celle de la lignée humaine.
Ce n'est pas la première fois que
l'humanité doit s'adapter à la fois
à des transformations endogènes
rencontrant brutalement un facteur
exogène qui les accélère. En
ce début de décennie 2020, c'est
la conjonction de tendances trop
longtemps considérées comme des
signaux faibles ou tout au moins
encore non généralisées, comme
la transformation numérique et
les problématiques RSE et ESG -
évolutions sociétales profondes,
climat, environnements, urbanisation,
biodiversités, gouvernance...
- et l'émergence aussi soudaine que
mondiale d'une pandémie. La crise
que nous connaissons ne crée rien.
Elle sélectionne parmi les tendances
émergentes. Et c'est bien ainsi que
fonctionne la sélection naturelle :
elle favorise des variations qui,
amplifiées, dessinent la nouvelle
normalité. En des termes Schumpetériens,
une nouvelle synthèse ou
adaptation avec une nouvelle représentation
relative des tendances préexistantes
à la « crise ».
Passons sur ces prospectivistes qui,
il n'y a pas si longtemps, annonçaient
la fin du travail avec la
numérisation de l'économie et de
la société. Sauf qu'en anthropologie,
on ne connaît pas de révolution
technologique généralisée - general
purpose technology - qui n'a pas
créé plus d'activités et donc de travail
non sans conséquences démographiques,
écologiques, sociétales
et mondiales : le feu il y a deux millions
d'années ; les agricultures il y
a 10.000 ans ; la Révolution industrielle
il y a 250 ans ; le numérique
aujourd'hui. Le problème n'est pas
la quantité de travail, mais celui de
l'inadéquation entre les offres et les
demandes sur fond de transformation
des métiers, de la disparition de
certains et de l'émergence de nouveaux.
La formation tout au long des
âges de la vie traduit ces évolutions
puisque nous sommes entrés dans
un âge entrepreneurial et, qu'en
moyenne, la vie des entreprises
excède à peine trois décennies ; les
plus grandes cachant la forêt des
dynamiques entrepreneuriales.
Pascal PICQ
Anthroprise
Autre agacement, les machines et
l'IA - aussi décriée que mal comprises
- avec à la fois la crainte du
remplacement ou la vieille utopie
P.22 | JANVIER 2022 | N°84 LA REVUE RH&M
prétendant que les machines vont
- enfin - se charger des tâches répétitives
et laborieuses. Rien de plus
erroné ! Ce qui importe, c'est de
réfléchir en termes de tâches, celles
dédiées aux machines, celles dédiées
aux humains et celles hybrides
humains/machines. Et là aussi,
rien de nouveau, cette problématique
ayant touché à l'esclavage et,
au moment de son abolition (officielle)
au milieu de XIXe siècle, le
penseur activiste Victor Meunier
se pose la question de la domestication
des singes pour remplacer
les ouvriers et les mineurs. A cette
époque, Friedrich Engels affirme
que le travail est un facteur fondamental
de la libération de l'Homme
tandis que Karl Marx y voit un facteur
d'aliénation. On en est toujours
là avec toutes les problématiques du
bien-être au travail qui agitent nos
entreprises et la société depuis plus
d'une décennie.
Une société de l'otium à la place de
celle du travail, comme en appelle
les philosophes et les utopistes,
n'est jamais advenue. Pour preuve,
la question des tâches domestiques,
éducatives et d'aides qui
en incombent tellement plus aux
femmes, ce qui devient un problème
pour le développement du
télétravail et, plus largement, pour
la vigueur de nos économies. Les
femmes ont toujours travaillé plus
que les hommes, et cela ne va pas
en s'arrangeant, comme pendant la
pandémie (Pascal Picq « Et l'Évolution
créa la Femme » Odile Jacob
2020).
Le terme télétravail se restreint trop
souvent aux tâches à domicile alors
que se multiplient les formes de
travail et, aussi, de collaborations
à distance. Le travail à distance et
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