La revue RH&M - N°81 - Avril 2021 - 40

Performance sociale
Conseils en droit social

La preuve des heures
supplémentaires : un exercice
impossible pour l'employeur ?
n'incombait spécialement à aucune des
parties, que l'employeur devait fournir au
juge les éléments de nature à justifier les
horaires effectivement réalisés par le salarié, mais qu'il appartenait au salarié de
fournir au juge des éléments de nature à
étayer sa demande (Cass. soc., 25 février
2004, n°01-45.441).

NICOLAS
MANCRET
Avocat Associé,
Jeantet - avocats

L

es heures supplémentaires et
leur preuve sont à l'origine
d'un contentieux abondant, qui
connait régulièrement de nouveaux rebondissements, comme
en témoigne l'arrêt de la Chambre sociale
de la Cour de cassation rendu le 27 janvier
2021. Le régime de la preuve des heures
supplémentaires repose sur un mécanisme
de preuve partagée. L'article L. 3171-4 du
Code du travail prévoit ainsi que dans le
cas d'un litige relatif à l'existence ou au
nombre d'heures de travail accomplies,
c'est à l'employeur de fournir au juge les
éléments de nature à justifier les horaires
effectivement réalisés par le salarié. Au vu
de ces éléments et de ceux fournis par le
salarié à l'appui de sa demande, le juge
forme sa conviction après avoir ordonné
toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Jusqu'à récemment, la Cour de cassation
considérait que la charge de la preuve

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Ultérieurement, la jurisprudence a précisé
que le salarié devait produire des éléments
suffisamment précis quant aux horaires
effectivement réalisés pour permettre à
l'employeur de répondre en fournissant ses
propres éléments (Cass. soc., 24 novembre
2010, n°09-40.928). Néanmoins, sous l'influence de la jurisprudence de la Cour de
Justice de l'Union européenne (CJUE, 14
mai 2019, C-55/18), la Cour de cassation
a infléchi sa position en abandonnant
la notion d'étaiement. Elle retient alors
qu'il appartenait au salarié de présenter,
à l'appui de sa demande, des éléments
suffisamment précis quant aux heures
non rémunérées qu'il prétendait avoir accomplies afin de permettre à l'employeur,
qui assure le contrôle des heures de travail
effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments (Cass. soc.,
18 mars 2020, n°18-10.919).
Par l'arrêt rendu le 27 janvier 2021, la Cour
de cassation vient clarifier ce qu'elle entend
par les « éléments suffisamment précis »
que le salarié doit apporter afin de faire
reconnaître l'existence d'heures supplémentaires (Cass. soc., 27 janvier 2021,
n°17-31.046).
En l'espèce, un salarié réclamait le
paiement d'heures supplémentaires et
produisait au soutien de sa demande un
décompte qu'il avait réalisé, mentionnant
jour après jour les heures de prise et de

fin de service, ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le
nombre d'heures quotidien et le total hebdomadaire.
La Cour d'appel rejette la demande du
salarié en relevant que ce décompte était
insuffisamment précis en ce qu'il ne précisait pas la prise éventuelle d'une pause
méridienne. La Cour de cassation casse
cette décision en constatant que le salarié présentait des éléments suffisamment
précis pour permettre à l'employeur de
répondre, que l'entreprise ne produisait
aucun élément de contrôle de la durée du
travail et que la Cour d'appel faisait peser
la charge de la preuve sur le seul salarié.
Aux termes d'une note explicative relative à
cet arrêt, la Cour de cassation souligne que
la précision attendue de la part du salarié
n'est ni de la même nature, ni de la même
intensité que celle qui pèse par ailleurs sur
l'employeur dans le cadre de son obligation
de contrôle de la durée du travail.
Elle explique enfin que la précision ne peut
avoir pour effet de faire peser la charge de
la preuve des heures accomplies sur le
seul salarié, ni de le contraindre à indiquer les éventuelles pauses méridiennes
qui auraient interrompu le travail (Note
explicative de l'arrêt du 27 janvier 2021,
n°17-31.046).
La Cour de cassation confirme l'abandon
de l'étaiement, et réaffirme le régime de
preuve partagé tel qu'issu de la loi. Cette
décision renforce hélas, la nécessité pour
l'employeur de contrôler et de conserver
des preuves de la durée du travail de ses
salariés dans la crainte d'un potentiel
contentieux, tout en allégeant la charge de
la preuve incombant aux salariés.
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