La revue RH&M - N°77 - Avril 2020 - 5

FORCES & IDÉES

Xavier Desmaison
Président du cabinet de conseil antidox
Co-auteur du "Bûcher des vérités", avec Guillaume Jubin (2019, Hermann)

Quelles stratégies dans
un monde de fake news ?

e coronavirus a été fabriqué dans le laboratoire P4 de Wuhan. Manger de l'ail ou
s'enduire d'huile de sésame le tue. Certains laboratoires pharmaceutiques, déjà
détenteurs du vaccin, attendent le développement de la pandémie afin de rentabiliser leurs investissements. Autant de
fake news, rumeurs, théories du complot,
qui pullulent sur les réseaux sociaux. L'OMS s'est employée à la
déconstruction de ce qu'elle a nommé une « infodémie ». Elles
circulent, tels des virus mentaux, participant à décrédibiliser les
autorités sanitaires et à aggraver la crise de confiance ambiante.

Ne pensez pas être immunisé contre les fake news, nous pouvons
en être les victimes passives, mais aussi contribuer à les propager,
parfois même sans le savoir. Ne pensez pas non plus qu'elles
s'arrêtent à la frontière de l'entreprise. Parce que nous avons
désormais tous le même pouvoir que des médias, sans en avoir
nécessairement la déontologie, et parce que plus rien ne permet
de distinguer aisément entre vérité et mensonge, entre vérité
et fausseté. Aucune boussole, aucun critère, aucune norme ne
l'emporte plus. Chacun pense, plus ou moins consciemment, qu'il
« n'y a pas de connaissance objective, mais seulement des interprétations du réel », pour reprendre la formulation du sociologue
Raymond Boudon. Nous assistons à un gigantesque « bûcher
des vérités », allusion détournée en référence au titre du roman
de Tom Wolfe, l'histoire de ce golden boy pris dans un de ces
incendies médiatiques auxquels l'actualité nous a dorénavant
habitués : hystérisation des débats, montée aux extrêmes des
opinions, prolifération des « fake news », rejet des élites métropolitaines, tentation d'une violence déchaînée... Pas une semaine
ne se passe sans que l'un de ces bûchers ne soit allumé pour
une idole adulée ou de simples anonymes. C'est le retour de la

Une seule recette, salutaire :
ne pas chercher à plaire à tout le monde
mais viser la cohérence.

radicalité dans tous les domaines : le champ politique, le champ
religieux mais aussi le champ économique avec l'exaltation de la
« disruption ». Puisqu'il n'y a plus de norme pour trancher les
débats, c'est donc le plus radical, le plus violent, celui qui parle le
plus fort qui l'emporte. Le bûcher des vérités, c'est notre civilisation toute entière, « Fille du Feu » sous la menace d'un burn-out
global. Le tissu social des organisations risque de s'y consumer et
de réduire en cendres la crédibilité de la parole des dirigeants et
de l'encadrement. Comment lutter contre les fake news internes
aux organisations ? Comment réguler les grandes controverses
sociales qui s'imposent aux entreprises, qu'il s'agisse de militants
radicaux, de salariés grimant leur « blackface », ou de membres
de la « Ligue du Lol » ? Quelle peut être la réponse de l'entreprise,
prise entre deux écueils : apparaître comme un censeur juridiquement illégitime ou s'abstenir au risque d'être emportée par la polémique ? Comment faire face à une crise sanitaire sans précédent ?
Une seule recette, salutaire : ne pas chercher à plaire à tout le
monde mais viser la cohérence. Notre époque est à la recherche
de vrais leaders, capables de reconstruire des certitudes et des
horizons désirables. Ils doivent définir la personnalité et la vision
de leur organisation, et rassembler les publics internes et les parties prenantes au sein de communautés de valeurs. Ils doivent
s'assurer que chacun ait les informations lui permettant d'adopter les comportements adaptés à un contexte incertain. C'est la
première des responsabilités éthiques de l'entreprise.

LA REVUE RH&M N°77 | AVRIL 2020 | P.5

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