ParaMag - N°390 - Novembre 2019 - 47

Un bon moniteur doit savoir capter et conserver
l'attention de son auditoire.
Photo Stéphane Blanc

PÉDAGOGIE

Jeune ou moins jeune, le parachutiste
débutant est souvent rempli de fantasmes
imaginaires vis-à-vis des professeurs
et de ses congénères plus expérimentés.
Et cela commence dès le baptême
en tandem.
Avant même qu'il ait pris la décision de
passer sa PAC (le cas échéant), le baptisant commence à nourrir son imaginaire
de projections inconscientes vis-à-vis de
son porteur tandem. Pris dans l'angoisse
et la peur, il fait du porteur celui dont sa
propre vie dépend... à juste titre.
À quelques minutes de faire le grand
saut, il n'a d'autre possibilité que de s'en
remettre totalement et aveuglément à cet
inconnu auquel il suppose un savoir et
une technique capable de le ramener au
sol, vivant. C'est souvent cette croyance
que certains porteurs aiment mettre à
mal en taquinant, avec plus ou moins de
malice, les baptisants. Leur faisant croire
qu'eux mêmes n'ont pas les compétences
requises pour mener à bien leur mission.
Dans l'avion, les sautants font figure
d'extra-terrestres pour les baptisants.
Dans leur regard, une forme d'incompréhension face à ses énergumènes qui
discutent tranquillement le temps de la
montée, puis affichent un sourire hilare à
l'ouverture de la porte. L'espace d'un instant, ils mesurent à quel point leur stress
n'est pas seulement lié à la situation, mais
à leur manque d'expérience. Que reste-t-il
de cette peur une centaine de sauts plus
tard ?
Au début de l'apprentissage, les débutants observent les plus expérimentés
avec un regard où parfois se mélange
l'envie d'être comme eux et la frustration
de ne pas pouvoir l'être. À ce stade, les
sautants à peine plus avancés font encore
figure d'experts, car ce qu'ils exécutent
techniquement n'est pas encore à la
portée des débutants. Ces derniers n'ont
pas encore de vision à long terme sur leur
propre progression.

Si j'insiste un peu sur la façon dont un
élève perçoit les sautants expérimentés,
c'est parce qu'elle illustre bien la notion
de «transfert» énoncée plus haut. Le
transfert est encore plus prononcé envers
l'enseignant, qui, en plus de sa grande
maîtrise technique, est supposé être en
capacité de transmettre son savoir et
son expérience. La hiérarchie implicite
est donc encore plus marquée. Elle l'est
parfois si profondément qu'elle peut
aveugler l'élève quant à ce qu'il perçoit
de son moniteur. L'élève peut lui attribuer
des qualités qu'il n'a pas ou ne pas voir
ses défauts et manquements, comme
peuvent le faire les enfants à l'égard de
leurs parents.

La hiérarchie
implicite

Dans le groupe social que forment les
loups, le mâle Oméga est hiérarchiquement le moins bien placé. Il fait
allégeance au mâle Alpha auquel il se
soumet. Notre élève fait aussi allégeance
à son moniteur, mais de manière plus
symbolique. Alors que la hiérarchie des
loups s'établit par la force, ce sont le
savoir et l'expérience du moniteur qui
poussent l'élève à s'en remettre à lui.
À ce moment, le lien (le transfert) va se
construire selon la personnalité de l'élève
et celle de l'instructeur. Un lien fort dont
le souvenir peut se maintenir parfois
longtemps après la PAC.
Beaucoup de parachutistes gardent
un souvenir ému de cette période des

«Le plus
important est
de rendre
les élèves
autonomes
dans leurs
réflexions.»
Ahmed Sferi

premiers sauts. On ne dira jamais assez
à quel point elle est importante. L'aspirant
parachutiste y forge ses premières armes
pour affronter ce que l'on peut réellement
appeler «l'épreuve des sauts». Elle est
très riche en émotions et favorise le lien
avec les moniteurs qui représentent alors
de véritables guides.
Lorsque ce lien de transfert est exagérément fort, il fait perdre à l'élève une certaine objectivité. Si l'élève manque un peu
de confiance en lui, il va faire allégeance
à son moniteur de manière excessive.

Et souvent aveuglément, lorsque le
moniteur, en plus de ses capacités techniques et pédagogiques, possède une
personnalité charismatique. Pour certains
élèves, s'installe rapidement une forme
de sacralisation du moniteur, mis sur un
piédestal. C'est entre autres, la surcharge

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Il est dans la nature humaine de chercher
à se situer au sein d'un groupe social,
de comprendre comment il fonctionne,
quels en sont les usages, les règles et les
coutumes. Se comparer avec ses pairs
est la manière la plus simple de se situer.
Cette comparaison se fait naturellement,
mais de manière totalement inconsciente.
Les capacités techniques, le nombre de
sauts, les différents types de brevets,
ou encore la taille de la voile deviennent
hélas des marqueurs qui instaurent inconsciemment une hiérarchie. Au sein de
la communauté parachutiste, le débutant

PAC en serait l'Oméga, le moniteur lui,
serait clairement l'Alpha.

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