ParaMag - n°308 - Janvier 2013 - 43

Plus tard, le jugement de la 7ème manche me semble durer une éternité, et je me dis que nous ne ferons pas mieux que toutes ces équipes en milieu de classement et dont le saut défile sur les écrans géants. Je suis livide et pas de très bonne compagnie, je dois l’avouer. Puis, le saut 7 des Américaines est jugé avant le nôtre. Effectivement elles ont fait un mauvais saut : 21 points pour nos adversaires et 21 pour nous également. Ce n’est pas aussi catastrophique que nous l’avions imaginé. Je reprends des couleurs. Le jugement de la 8ème manche se fait au coucher du soleil. Nous sommes un peu plus détendues. Les Américaines ont choisi une construction délicate qui ne paye pas. Quant à nous, on déroule les 3 blocs comme dans un livre, ce qui nous permet de passer à 1 point devant elle. Que d’ascenseurs émotionnels durant cette journée ! Nous étions enfin arrivées à passer devant nos adversaires, et la pression pesait maintenant sur leurs épaules. Aller se coucher là-dessus, c’est un sentiment délicieux… tout en croisant les doigts pour que le saut rapide de la 9ème manche fasse vraiment la différence. Après ce tournant favorable à l’issue de votre 8ème manche, comment as-tu vécu la fin de compétition ? Perrine : Les deux dernières manches se sont déroulées la dernière journée, et cette journée-là fut la plus riche en émotions. Le saut 9 fut pour moi source de stress car il était évident que notre championnat du monde se jouait sur cette manche. Alors que jusque-là j’étais étonnamment sereine, je suis envahie d’une tension étouffante à l’embarquement. Laurence nous tape dans la main avec intensité, nous transmettant toute sa force et sa confiance. Montée d’avion en hyperventilation, je mets mon casque et je cherche alors le regard de chacun de mes équipiers. Je croise le regard apaisant de Sophie, le regard conquérant d’Amélie, le regard complice de Stéphanie et le regard hyper-sérieux de Rémy en mode compète. Je souffle un grand coup à la mise en place. Sonnette, c’est parti. Sortie qui passe bien, on accélère progressivement, ma main ripe sur une arrivée de 16, je ne dois pas y penser, continuer, continuer et rester sur le moment présent. Puis enfin la délivrance marquée par l’altison. J’ouvre mon parachute et là j’éclate en sanglots. Je suis bête de pleurer, on a fait un putain de bon saut !

Mais le soulagement de ne pas avoir raté est fort, presque violent, et je dois évacuer le stress. Je me pose. Les filles me voient pleurer, elles éclatent de rire ! Sophie nous rejoint, elle aussi est dans un état second. De tels moments sont des pépites d’or dans la vie d’une compétitrice. Nous ne savons pas ce que les Américaines ont fait, mais nous savons que nous avons effectué un saut brillant. Au retour sur la DZ, nous nous délectons quelques minutes supplémentaires, mais là encore il faut vite se mettre dans la manche suivante et se méfier de «l’effet kiss cool». Nous briefons posément le dernier saut en attendant le jugement. Le saut des Américaines défile maintenant sur les écrans. On constate les erreurs, elles ne feront pas aussi bien que nous, nous avons réussi à les faire craquer. 26 points pour elle et 30 pour nous. On a une avance confortable de 5 points avant de partir pour le dernier saut qui n’est pas un saut rapide. Il faut éviter de se dire que c’est gagné. Nous ne sommes pas à l’abri d’une sortie ratée, car la 2 est délicate. Nous devons juste assurer, restituer ce qu’on sait faire, ne pas penser à la suite, surtout pas… Et nous y arrivons plutôt bien en entrant à nouveau dans notre bulle, une fois encore. Nous faisons un bon dernier saut. Nous nous posons heureuses, soulagées. C’est fini. On n’a pas flanché. Pour nous reprendre 5 points là-dessus, il faudrait qu’elles aient fait une manche hors du commun. Nous voilà un peu plus proches de la victoire, mais j’ai toujours une petite incertitude, un refus d’y croire tant qu’on ne le voit pas écrit. Notre équipe soudée avec Laurence attendra le jugement, entourées du clan français. Les points défilent, c’est trop bon, nous sommes devant, c’est gagné, nous éclatons de joie, nous pouvons laisser couler nos larmes de bonheur et tomber dans les bras l’une de l’autre. On l’a fait, je n’en reviens pas ! Même là, c’est difficile à croire. Tout le monde nous félicite, Français et étrangers, tous ravis d’avoir été témoins de cette bataille et de ce suspens. Il me faudra attendre le podium et notre Marseillaise pour réaliser vraiment ! Cette aventure nous l’avons vraiment vécue à 6, chacun méritant cette place sur la première marche. J’aime dans ce moment observer mes coéquipiers, j’ai de la tendresse et de la gratitude pour chacun d’eux. Ca aura été deux années formidables … Et je ne suis pas prête d’oublier ce mois de décembre 2012 !

ParaMag : Tu as été heureuse pour tes coéquipières, bien sûr, mais tu as dû souffrir dans tes tripes d’être spectatrice plutôt qu’actrice de cette victoire. Comment as-tu vécu ce championnat du monde à la fois au cœur et à côté de ton équipe ? Laurence : Juste après mon accident, je voulais vraiment partir à Dubaï avec l’équipe, en tant que remplaçante. Cet objectif représentait pour moi une date, une échéance pour me booster dans ma rééducation afin de me remettre sur pied rapidement. Sans cela, j’aurais été quand même à fond pour récupérer, mais cet objectif apportait une dimension supplémentaire à ma remise en état. En effet, ayant ressenti beaucoup de culpabilité vis-à-vis de mon équipe à cause de cette blessure et de ses conséquences, je voulais une revanche immédiate en étant présente à Dubaï pour mon équipe, pour les accompagner et les soutenir en direct. Au début, les avis médicaux étaient défavorables. Mais, plus tard, les médecins de Capbreton furent confiants et m’ont permis d’être prête à temps. Quelques jours avant le grand départ pour Dubaï, j'ai reçu un coup de fil de Jérémie qui m’annonçait que, grâce aux avis médicaux positifs, je ferais partie du voyage, en tant que remplaçante. J’étais en transe, envie de sauter partout, ce fut un grand moment ! J’avais au moins gagné ça ! Premier saut d'entraînement à Dubaï. Je n'avais pas encore vu l'équipe partir sauter sans moi. Premier gros coup dur. Ca commence à briefer sans moi, à s'équiper, c’est parti... Ça me noue les tripes. J’essaye de garder le sourire, les gens sont contents et agréablement surpris de me voir si tôt sur pied. On me dit plein de petits mots gentils et encourageants… mais je reste scotchée au sol, les regardant partir à l'embarquement, et je me sens seule… Le 2ème coup dur fut le tirage des sauts de la compète. L'équipe commença à entrer dans sa bulle, à réfléchir sur les sauts, se concentrer, et je me sentais maintenant inutile. Durant ce championnat du monde, j'ai ressenti à peu près toutes les émotions possibles : heureuse, triste, frustrée, stressée, isolée... J'ai vraiment ramassé à être à côté de l'équipe, à essayer de trouver ma place. J'ai beaucoup appris en étant sur la touche, j’ai pris beaucoup de recul sur un tas de choses et gagné en expérience. J'ai appris à garder la tête haute et la tête froide, alors que j’étais submergée

Laurence Hervé

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