ParaMag - n°300 - Mai 2012 - 59

L'HOMME AUX AILES DE MÉTAL : REGARDS TECHNIQUES
Par Bruno Passe

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EPILOGUE

Photos d'archives, images furtives : plusieurs générations de parachutistes n'ont eu que cela pour alimenter leurs rêves de vol. Ces premières images filmées en chute, c'est aussi l'occasion de voir comment les premiers "hommes-oiseaux " volaient. Inattendu, inespéré même, ce film surgi du passé nous révèle ce qu’il ne nous a jamais été donné d'analyser, de décortiquer. Grâce aux caméras de Jacques Dubourg, puis au travail d'investigation, de récupération et de rénovation effectué sur le film, enfin nous pouvons voir Gil Delamare évoluer avec ses ailes hybrides. Évidemment, il faut se remettre dans le contexte de l'époque, on est bien loin de la Gopro et des wingsuits surtoilées et affinées d'aujourd'hui. Quant aux techniques de chute, elles n'en étaient encore qu'à leur balbutiement. Le temps où on ne retirait pas la main de la poignée d'ouverture durant toute la chute libre, par crainte de ne pouvoir ramener le bras pour tirer, n'était pas si loin... Le risque de "torche", sur des parachutes non équipés de libérateurs, était important lors de ces sauts avec surfaces additionnelles. Le risque de percussion en chute également. Quant au risque de vrille (autorotation très rapide et incontrôlée, redoutée des parachutistes de cette époque), il ne fut éliminé que lorsque Gil Delamare mit au point un système de libération de ses ailes de métal. Effectuant les premiers sauts sans libérateur, il avait frôlé la catastrophe en perdant une aile à 1 500 m, ne parvenant à ouvrir son parachute qu'à une centaine de mètres du sol... Si vous connaissez des parachutistes qui pratiquent ou qui ont pratiqué le skysurf, ils vous le diront : les sensations produites par des surfaces additionnelles rigides n'ont rien à voir avec celles de surfaces souples, qui peuvent se déformer – donc se contrôler - plus facilement. Alors même si Gil Delamare arbore un large sourire en embarquant dans l'avion, on imagine qu'un certain stress devait régner sur l'axe de largage, avant de sauter avec tout ce barda. Dès les premières images du film, en chute, les ailes de toile semblent inefficaces, en tous les cas inutilisées car la position est rarement tendue, certainement pour compenser les différences de taux de chute entre l'homme-oiseau et le cameraman. Les ailes de jambes semblent en opposition permanente avec les ailes de bras, car elles ne sont pas dans le même plan. Gil Delamare évolue le plus souvent en position cambrée, bras hauts, ce qui était à l'époque une position de chute "moderne". Il faut bien le reconnaître : les performances de vol semblent minces, certainement amoindries par les prises de vue statiques d'un caméraman chutant plus vite. Le mouvement que l'on retrouve le plus souvent dans le film est une sorte de glissade en avant, jambes serrées, bras en arrière et buste cambré. Cela correspond aux techniques de "travail relatif" (on ne disait pas encore "vol relatif") de l'époque. Les deux parachutistes se retrouvaient alors rapidement dans des trajectoires de type "combat tournoyant", tout en cherchant à garder le même niveau et un bon placement pour la lumière. Pour les besoins du film, certainement que Gil Delamare n'exploitait pas le potentiel maximum de son équipement.
Images extraites du film “L’Homme-Oiseau” Production Dalmas

Mais dans le livre "Le risque est mon métier", Jacques Dubourg témoignait tout de même d'étonnantes performances à l'époque : "Dans certaines positions, ses ailerons augmentaient considérablement sa vitesse d'évolution au moindre geste. Ses ailerons de jambes surtout, par l'angle dièdre qu'ils formaient, accéléraient ses déplacements horizontaux : il arrivait sur moi et s'en éloignait à une vitesse que je n'ai jamais vu aucun parachutiste atteindre. Les premiers sauts furent une aventure, Gilles devait apprendre en effet à contrôler et à positionner ses ailes, en définitive fort gênantes, et à acquérir un nouvel équilibre en chute libre.

À la différence des hommes-oiseaux connus, qui comptèrent peu de sauts avec leur équipement, la plupart n'excédant pas la dizaine, Gilles fit plus de 50 descentes avec ses ailes pour les besoins de notre film, auquel s'ajoutent ses exhibitions en France et à l'étranger. Il acquit une maîtrise précieuse et une expérience qu'interrompit l'interdiction faite en France de sauter avec ces engins hybrides."
On peut imaginer que, débarrassé des deux encombrants parachutes (dorsal et ventral) et sans avoir à tournoyer autour d'un caméraman, Gil Delamare aurait pu réaliser des trajectoires plus spectaculaires. Lors de son premier saut à Evian, il s'est fait lui-même surprendre par la dérive horizontale provoquées par ses ailes, au point de rater le lac et de se poser en catastrophe en pleine ville. En regardant ces images surgies du passé, et même si les performances semblent ordinaires de nos jours, il faut d'abord apprécier le courage et la persévérance de ces pionniers. Ensuite, en analysant ces images, on se dit que Gil Delamare avait vu juste avec ses ailes de métal. Ses dignes successeurs ont agrandi la taille de l'aile rigide et sont montés dessus : le skysurf était né, dotant ses pilotes d'une puissance spectaculaire. Ils furent eux aussi largement médiatisés, voir idolâtrés, à leur époque. Un peu plus tard, d'autres successeurs descendirent progressivement de la planche pour se l'accrocher dans le dos. Le premier traversa la Manche en 2003 dans le sens Douvres-Calais, poussé par un vent très fort : Felix Baumgartner. Le deuxième la traversa en 2008 dans le sens Calais-Douvres, poussé par des mini-moteurs à réaction : Yves Rossy. Eux aussi sont largement médiatisés de nos jours. Les ailes rigides, c'était vraiment une bonne idée, merci Monsieur Gil Delamare. Et merci Monsieur Jacques Dubourg de les avoir immortalisées.

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