NEOMA Alumni Mag - N°20 - Septembre 2019 - 29

UNE INITIATIVE CONTROVERSÉE
La taxe GAFA comporte plusieurs limites. « D'abord,
elle ne vise que deux activités : la publicité en ligne
et la mise en relation. Ensuite, elle ne concerne
qu'une poignée de géants du numérique (voir
encadré). Surtout, les 500 millions d'euros qu'elle
est supposée rapporter ne représentent que
0,03 % des recettes de l'État français : une goutte
d'eau. De plus, elle sera un impôt déclaratif, dont
les coûts de collecte et de contrôle seront élevés :
sera-t-elle rentable in fine ? Elle donne l'impression
d'être un coup de communication politique,
comme l'ISF en son temps », pointe Maryline
Thenot. Le fait de taxer le chiffre d'affaires va également à l'encontre des conventions internatio-

DR
DR

Albert Atangana
(MS MJE 07)

VERS UN CONSENSUS INTERNATIONAL ?
« Malgré les incertitudes, la France fait preuve de
maturité à se lancer seule », considère Omar
Aouad-Saoud. Et de nombreux autres pays sont
prêts à lui emboîter le pas : la Grande-Bretagne,
l'Espagne, le Chili, la Corée du Sud. Toutefois, si
une poignée d'États s'engagent ainsi, de manière
non concertée, ils risquent de donner de nouvelles
possibilités d'optimisation fiscale aux grandes
entreprises, promptes à se réorganiser face aux
réformes. « La France veut faire pression pour
accélérer le changement au niveau international :
la démarche est louable, mais son timing et ses
modalités maladroits. Une action globale serait
moins pénalisante », estime Diana Legrand. Les
lignes seraient cependant en train de bouger :
conformément aux recommandations de l'OCDE,
les ministres du G20 cherchent à converger vers
un accord sur la taxation des géants du numérique
d'ici 2020. « Si le reste du monde suit, la France
aura eu raison avant tout le monde ! », conclut
Albert Atangana. ❚

Diana Legrand,
chargée
d'enseignement à
NEOMA Business
School

LA FRANCE, EN POINTE DANS LA BATAILLE
« Le problème de l'équité fiscale est reconnu par
tous : états, politiques, entreprises... souligne Diana
Legrand, chargée d'enseignement en Droit des
affaires et fiscalité à NEOMA Business School. Dès
les années 80-90 et plus fortement depuis la crise
financière de 2008, l'Organisation de coopération
et de développement économiques travaille à une
refonte globale du système fiscal international, afin
de réduire les disparités d'imposition et plus
récemment de définir la notion de présence numérique qui permettrait de taxer une entreprise dans
les pays où elle vend biens et services, sans y être
installée physiquement. » Un processus qui n'a pas
encore abouti. L'Union Européenne n'est pas non
plus restée inactive : « Sous l'impulsion de plusieurs
pays (France, Allemagne, Espagne et Italie), la
Commission a proposé une taxe de 3 % sur les
revenus des géants du numérique, explique
Maryline Thenot, professeure de fiscalité et enseignante-chercheuse à NEOMA Business School.
Mais elle s'est heurtée au manque d'harmonisation
fiscale entre les états membres. Il n'y a pas de
directive européenne sur l'impôt sur les sociétés :
chaque pays reste maître du calcul de son assiette
et de ses taux. Et tout changement sur ce point
ultra sensible requiert l'unanimité. Or, des pays tels
que l'Irlande ou le Luxembourg, terres d'accueil
des GAFA, qui font de leur bas taux d'imposition
un élément de compétitivité, sont opposés à la
taxe. Et face aux menaces de rétorsions commerciales américaines, l'Allemagne a reculé. » Notre
pays, le plus vindicatif sur le sujet, a donc continué
seul, en retenant la taxation de 3 % des revenus
préconisée par la Commission.

nales, qui imposent les bénéfices : c'est une source
de contentieux potentiel. Des représailles ne
seraient donc pas à exclure : « Les GAFA pourraient
répercuter son coût sur les utilisateurs français et
les États-Unis pénaliser les entreprises françaises
pour protéger leurs champions », ajoute Diana
Legrand. Enfin, la légitimité même de la taxe peut
être interrogée, comme le souligne Omar AouadSaoud (PGE 18), consultant en services financiers :
« Les données personnelles qu'un individu consent
à fournir en échange d'un service numérique
n'appartiennent pas aux États. Pourquoi en tireraient-ils un revenu ? »

Maryline Thenot,
enseignantechercheuse à NEOMA
Business School

Marianne Gérard

Car l'essor d'internet depuis vingt ans a vu l'apparition d'activités immatérielles : collecte et analyse
des données, ciblage publicitaire, plateformes d'intermédiation... » Les utilisateurs des nouveaux services digitaux peuvent générer des revenus dans
des pays où l'entreprise n'est pas implantée et
donc pas soumise à l'impôt. Ainsi, les géants du
numérique affichent des volumes d'affaires élevés
tout en déclarant des bénéfices minuscules.

Omar Aouad-Saoud
(PGE 18)

LA TAXE GAFA EN BREF
* Le projet a été adopté fin juin et la loi est rétroactive au 1er janvier 2019.
Concrètement, il s'agit d'une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires réalisé
en France.
*D
eux activités sont ainsi visées : les plateformes de mise en relation
entre clients et vendeurs, les activités de ciblage publicitaire et de
vente de données personnelles à des fins publicitaires.
*D
eux conditions d'assujettissement : générer un chiffre d'affaires d'au
moins 750 millions d'euros dans le monde et 25 millions d'euros en
France sur ces deux activités.
*V
ingt-sept entreprises concernées à ce jour : les GAFA, Microsoft,
Airbnb, Alibaba, Ebay, Criteo, Twitter, Uber, etc.
*G
ains attendus : 400 millions en 2019, 450 millions en 2020, 550
millions en 2021 et 650 millions en 2022.

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