Dauphinews - Le magazine de la #D-Family - N°3 - Octobre 2020 - 35

ont accès aux soins sont les plus
proactifs, qui disposent du meilleur
réseau. Cela nous montre une faille
de notre système de santé : il est
très bon pour soigner individuellement des patients, moins pour
penser la prise en charge de la
santé globale de la population.
Quelles seront les
conséquences pour le système
français de santé sur le plus
long terme ?
En France, nous avons l'une des
plus longues espérances de vie au
monde, et pourtant nous comptons
encore de nombreux décès
prématurés par manque de
prévention. Il faut savoir que la
médecine de santé publique est
l'une des spécialités les moins
prestigieuses chez nous, alors que
d'autres pays, comme les États-Unis,
disposent de "schools of public
health", des facultés reconnues
réunissant économistes, médecins,
statisticiens, anthropologues... Ce
besoin de politique de santé
publique et de gestion du risque est
apparu, j'espère qu'il sera entendu.
Au tout début de l'épidémie, j'avais
l'impression d'entendre deux avis
contradictoires : les professionnels
de santé ne pensaient pas qu'un
confinement puisse avoir de
conséquences graves sur l'économie ; de l'autre, les économistes ne
voulaient pas croire qu'il y aurait un
nombre important de morts évités
grâce à un confinement. En tant
qu'économistes de la santé, nous
travaillons à faire dialoguer ces deux
mondes, et je pense que nous avons
en partie réussi. J'espère qu'il restera
de cette épidémie le besoin de faire
dialoguer davantage l'économique
et la santé, avec l'objectif d'arriver au
meilleur compromis possible.
Dauphinews

Quid de la question des
ressources de l'hôpital public,
très discutée depuis plusieurs
mois ?
Notre système de santé est bon,
mais n'est pas parfait et le manque
de ressources de l'hôpital public
peut en effet être pointé. À très
court terme, nous avons vu les
difficultés à gérer immédiatement la
crise, mais qui ont été rapidement
palliées par une réallocation de lits
du système privé, une solidarité
entre régions et une réactivité du
système, afin de s'adapter à une
situation inédite de crise. Même si
les ressources étaient insuffisantes,
il y a eu une véritable capacité
d'adaptation, bien que l'on ait
clairement vu les difficultés de
l'hôpital, en nombre de lits, mais
surtout de personnels ! Les soignants ont fait des efforts admirables afin de tenir tout au long de
la pandémie, mais cela n'est pas
tenable sur le long terme. La
question des ressources à l'hôpital
peut être une question de budget
que l'on alloue, mais aussi de
gestion. Par exemple, ne faudrait-il
pas réfléchir à augmenter le nombre
d'hospitalisations à domicile, via la
médecine de ville, afin de réserver
l'hôpital aux états de santé les plus
sévères ?
Depuis l'annonce du
confinement, le public s'est
également retrouvé face à un
débat scientifique parfois
houleux. Cela peut-il avoir des
conséquences sur la publication
scientifique,notamment celle
liée à la santé ?
La crise a en effet montré les
risques de la course à la publication
effrénée, qui peut conduire les
chercheurs à publier des résultats

iStockphoto

covid

Un arbitrage a dû être fait entre pertes sanitaires et
pertes économiques : comment sauver un maximum de vies,
mais aussi l'économie ?

erronés. Aujourd'hui, cela contribue
à pointer le besoin d'éthique dans la
recherche. Dans les temps de crise,
une avidité d'information apparaît,
les chaînes de télévision en continu
et la focalisation de l'information sur
l'épidémie ont conduit à inviter
beaucoup de scientifiques. Cela a
posé deux problèmes, à commencer
par le fait que l'on a confronté le
public à des débats scientifiques qui
existent, mais qui ne sont d'habitude
pas exposés. Le fait que les
chercheurs se querellent pour savoir
si telle ou telle molécule est efficace
ou sur l'estimation du nombre de
morts peut être déroutant pour le
public. Le deuxième problème : la
course à l'innovation scientifique et
à la publication a conduit certains à
publier trop vite. Des journaux ont
sorti des "preprints", des articles qui
n'avaient pas encore été relus par
des pairs. Ils contenaient des
résultats erronés, parfois fondés sur
des données non valides. La
pandémie a montré les limites de la
volonté d'obtenir des résultats
immédiats et de la course à la
bibliométrie. Aujourd'hui, les
éditeurs sont plus attentifs et les
chercheurs ont pris conscience que
leurs résultats peuvent avoir des
impacts forts sur les politiques
publiques. *

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