Dauphinews - Le magazine de la #D-Family - N°3 - Octobre 2020 - 33

covid

compliqué si l'on pense de prime
abord que l'on ne va rien y comprendre ! Donc, lorsque l'on amène
des journalistes généralistes à
traiter des questions scientifiques et
techniques, dans des contextes de
production quotidienne, dans
l'incertitude, nous avons toutes les
conditions réunies pour créer des
difficultés dans le traitement
médiatique. Cela s'ajoute au fait que
les sujets des sciences sont parfois
traités par des "experts" autoproclamés, avec une confusion entre avis
et connaissance.
Les écoles de journalisme
répondent-elles à ces défis ?
Avec nos collègues des autres
écoles, nous aimons à croire que
nous enseignons le journalisme tel
qu'il devrait être... avec parfois des
différences avec la réalité des
pratiques professionnelles que
découvrent les jeunes diplômés en
intégrant les rédactions. Une de mes
observations en participant au
groupe de réflexion de Dauphine
sur le Covid est qu'il existe un
décalage entre la connaissance
scientifique acquise, celle en train de
se construire et le moment où les
journalistes s'en emparent. Le
traitement de la complexité est la
base du métier : il faut se créer
rapidement une expertise. Cela
implique un meilleur dialogue entre
journalistes et chercheurs, pour
comprendre les contraintes de
chacun. Il serait intéressant que les
jeunes journalistes et chercheurs se
rencontrent, car l'on voit bien que
les responsabilités sont multiples.
Certains scientifiques, peut-être
grisés par la posture d'expert, ont
quitté la posture de scientifique
pour émettre des avis pouvant être
perçus par certains comme la
Dauphinews

position de la science. Cela provoque la même confusion que
lorsqu'un journaliste commente
l'actualité et ne saisit pas que, pour
son auditeur ou lecteur, la différence
entre la partie informative et les
commentaires ne sera pas évidente.
Alors, comment changer
ce traitement ?
C'est une question qui s'adresse à
toute la société. Plusieurs éléments
ne me rendent pas optimiste. À
commencer par le rythme des
médias : une actualité chassant
l'autre, le temps disponible pour la
réflexion et le collectif est difficile à
trouver dans un tel flux. De plus,
pour que des espaces de réflexion
se créent, il faut des lieux de
rencontres, de colloques,
d'échanges, et la période rend
délicate l'organisation de tels
événements. En revanche, je suis
convaincu que cette période sera
intense en réflexion dans les écoles.
D'ailleurs, je vois déjà un signe de
changement : notre option "sciences,
santé et environnement" n'a jamais
connu autant d'inscrits ! Cela montre
l'intérêt fort des élèves pour ces
sujets.
Après la crise sanitaire vient la
crise économique. Quel impact
aura-t-elle sur la presse ?
Les annonceurs désertant les
médias, la crise économique les
touche évidemment. Et cela peut
devenir un cycle infernal : moins de
qualité éditoriale, moins de lecteurs...
D'un autre côté, la période a aussi
montré que le goût de l'information
reste intact, dans le monde entier.
La consommation de médias et les
abonnements numériques augmentent, les gens veulent être informés.
Durant cette période d'incertitude,

la demande pour de la qualité
journalistique se renforce. Le risque
est de créer une polarisation de la
profession. D'un côté, des journalistes moyennement formés,
produisant des textes peu intéressants de façon massive. De l'autre,
des professionnels capables de faire
leur métier de façon qualitative,
pour des médias avec beaucoup de
valeur ajoutée. Le problème de cette
information à deux vitesses :
certains pourront accéder à de
l'information qualitative, les autres
devront se contenter d'un magma
"d'infotainment".
Comment rester optimiste, en
tant que directeur d'une école
de journalisme, face à tout
cela ?
Nous avons une double promesse :
fournir aux entreprises de presse
des professionnels bien formés,
"immédiatement opérationnels", et
assurer aux étudiants que ce qu'ils
apprennent les aidera à construire
leur parcours, et leur sera encore
utile dans dix ou vingt ans. Même si,
sur le moyen terme, des nuages
s'accumulent, ce ne sera pas la fin
du journalisme et des médias. Je
reste optimiste car je connais la
qualité de nombreuses écoles de
journalisme françaises. Ce sont des
cursus extrêmement intéressants,
d'excellente qualité, qui permettent
d'ouvrir l'esprit et apprennent à
s'approprier rapidement un nouveau
sujet. L'environnement des médias
est en plein bouleversement, mais je
reste convaincu que ce goût pour
l'information et la nécessité absolue
de lutter contre la désinformation et
la mésinformation sont et resteront
fondamentaux dans les années à
venir. *

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