Arts&MétiersMag - N°432 - Décembre 2021/Janvier 2022 - 70

CULTURE & LOISIRS À LIRE
La Volonté
de Marc Dugain, éd. Gallimard,
août 2021, 288 p.
Au nom
du père
BIOGRAPHIE Dans ce beau récit,
Marc Dugain retrace l'existence exceptionnelle
de son père. Cet
homme fut élevé par une mère qui
s'est vite retrouvée seule avec ses
trois enfants. Il braconne dans la
campagne bretonne pour améliorer
l'ordinaire de la famille. En 1940,
atteint par le virus de la poliomyélite,
il est paralysé des
jambes. Grâce à la solidarité du village,
il est soigné à l'hôpital Necker
par un grand ponte parisien. Après
une dizaine d'opérations, ce dernier
lui sauve une jambe, lui permettant
de remarcher et de poursuivre
de brillantes études. Dès
lors, comme Polytechnique n'ouvre
pas ses portes aux infirmes, il devient
un physicien nucléaire de
haut niveau. Son lourd handicap
ne l'empêche pas de tenir un rôle
important dans la Résistance. Féministe,
il soutient sa femme dans
son ascension professionnelle dans
l'ingénierie de l'eau.
Dans ce livre d'introspection, tout
en retraçant le parcours de son
père, dont la vie l'inspire et dont il
admire la volonté, Marc Dugain
décrit la France postcoloniale et les
années qui l'ont profondément
transformée.
H. B.
70 Arts&MétiersMAG
Le Voyant d'Étampes
d'Abel Quentin, les Éditions de
l'Observatoire, août 2021, 380 p.
Réseaux
asociaux
ROMAN Jean Roscoff, le personnage
principal, est un ancien militant
de SOS Racisme et un universitaire
spécialiste du maccarthysme.
Il prend sa retraite et se consacre à
la biographie d'un poète américain
oublié, Robert Willow, communiste
engagé, qui s'était retiré dans l'Essonne,
à Étampes, avant de mourir
dans un accident de voiture. Publiée
par une petite maison d'édition,
discrète, cette biographie aurait
dû rester dans l'ignorance. Or,
elle déclenche une tempête médiatique
car l'auteur a oublié de mentionner
que... Robert Willow était
un Afro-Américain. Un Blanc est-il
légitime pour parler d'un Noir ?
Roscoff est dénoncé comme un
odieux réactionnaire sur les réseaux
sociaux, son logement saccagé
et sa fille agressée. Cette crise
pousse Radio France à inviter l'auteur
et sa biographie devient un
best-seller.
Dans ce roman, l'avocat pénaliste
Abel Quentin expose les débats actuels
sur le racisme et sur les cabales
incontrôlables sur internet.
Un roman magistral sur le reflet de
notre époque et ses dangers, avec
un coup de théâtre final digne des
meilleurs thrillers.
H. B.
Une bête entre les lignes
d'Anne Simon, éditions
Wildproject, avril 2021, 400 p.
Arche
de Noé
en littérature
ESSAI La pensée écologique renouvelée
par la réflexion sur le saccage
du vivant irrigue la création
artistique. Sous-titré «Essai de zoopoétique»,
cet ouvrage savantissime
d'Anne Simon, LA spécialiste,
directrice de recherche au CNRS,
traque l'animalité, sauvage ou domestiquée,
dans le langage et l'écriture,
considérés comme des spécificités
de notre espèce. C'est à la
fois trop plein et forcément incomplet.
Au centre d'un volume en
triptyque, six auteurs, Proust et
Giono en tête, sont décryptés sous
ce discriminant. Des romans majeurs
(«Moby Dick» de Melville,
«le Lion» de Kessel, «les Racines
du ciel» de Gary et, bien sûr, ceux
de Kafka et Genevoix) nourrissent
les deux autres tableaux. Le lecteur,
un peu étourdi par l'accumulation
des occurrences, entre fables, hybridations,
métamorphoses, merveilles
arcimboldiennes, Bible et
toute l'Arche de Noé, trouvera en
fin d'ouvrage, après cette mise en
bouche consistante mais ardue, un
mille-feuille de près de 500 œuvres
citées. Elle constitue un outil appréciable
pour poursuivre, à la
carte, un festin évidemment... carné.
Bon appétit !
H. F.
N°432 / Décembre 2021-janvier 2022
Le Dit du mistral
d'Olivier Mak-Bouchard,
éd. Le Tripode, août 2020, 360 p.
Gens de
la fontaine
ROMAN Entre mont Ventoux et
Luberon secret, ce premier roman
(1)
démarre habilement : à partir
d'une curieuse découverte sous
un mur éboulé, on assiste à une
transmission de valeurs entre deux
voisins qui ne se connaissaient
guère et deviennent complices
jusque dans les questions existentielles.
Les quatre éléments brassent
le paysage familier de l'auteur, surtout
le vent «maître», le mistral, ce
fada de Provence. Les écrivains attachés
au Luberon sont convoqués,
de Pétrarque à Bosco, de Camus à
Giono. (Char n'est ici que le nom
d'une école à L'Isle-sur-la-Sorgue.)
Dès le chapitre 18, intitulé «lou
Gros Soupa» (2)
, l'intrusion de
contes et de légendes immémoriaux,
de divinités, de rêve et les
courts-circuits historiques entre
Gaulois, Albiques, Étrusques, Romains,
Carthaginois et Maures,
amènent de belles envolées. Mais
le fil conducteur se détend, la
source se tarit et le style saute quelquefois
de mots rares (aphyllanthe,
jaseran) en expressions populaires,
ici déplacées (zizi béton). Attendons
le second roman pour adhérer
sans réserve.
H. F.
(1) Prix première plume 2020.
(2)
Le «gros souper» de Noël est le dîner sans
viande pris le soir du 24 décembre.
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