Arts&MétiersMag - N°432 - Décembre 2021/Janvier 2022 - 42

DOSSIER RÉINDUSTRIALISATION / EXPERT
«Interrompre les aides
trop brutalement
serait risqué»
C'est depuis la vigie Trendeo, bâtie en 2009, que David Cousquer observe l'évolution
de l'industrie française. Ses banques de données font de lui un analyste parmi les plus avisés
de l'industrie en France et à l'étranger. Son regard sur l'actualité du secteur industriel.
AMMag - La France peut-elle être présente dans tous les
secteurs industriels avec - partout - un niveau élevé
d'innovation, de savoir-faire et de financement ?
David Cousquer - Non. Il ne s'agit pas de viser l'autarcie parce
qu'apparaîtraient des problèmes de recrutement avec
manque de compétences dès le redémarrage de la conjoncture.
Deux axes sont à privilégier. Le premier, c'est le renforcement
des filières transversales, comme l'énergie, la
robotisation et machines-outils. Leur bonne tenue influe sur
l'ensemble. Dans l'énergie, la France a des atouts comme la
production d'électricité décarbonée, à commencer par le
nucléaire. Une énergie à coût maîtrisé est un avantage pour
l'ensemble des secteurs industriels. Nous manquons aussi
d'acteurs de poids dans le secteur des machines-outils et de
la robotique. Pourtant, l'automatisation des processus et
procédés de fabrication rend l'industrie plus compétitive.
Le deuxième axe consiste à renforcer nos points forts ou à
veiller à ce qu'ils ne s'érodent pas. Dans l'aéronautique ou
dans le spatial, il convient de suivre la concurrence chinoise
ou américaine, par exemple. Dans l'automobile, il faut réussir
la transition vers le véhicule électrique qui contient moins
de pièces et réduit le rôle des sous-traitants. La filière automobile
investit énormément dans cette transition, notamment
dans les batteries. Le tissu économique de ce secteur
va être bouleversé avec des partenaires différents et de nouveaux
concurrents.
AMMag - Quels sont les points forts et faibles
de l'industrie française ?
D. C. - La France a de grands groupes, présents à travers la
planète, dans l'aéronautique, l'automobile, le luxe et l'agroalimentaire.
Ces filières sont des atouts mais leur compétitivité
«coût» a été privilégiée aux dépens de considérations
stratégiques telles que le risque de rupture des approvisionnements,
voire de dépendance excessive. La France a aussi
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N°432 / Décembre 2021-janvier 2022
un tissu de start-up capables d'innover et de proposer des
produits techniques porteurs. Mais la production de masse
est trop souvent sous-traitée à l'extérieur. Notre point faible
est probablement la difficulté à favoriser l'émergence de
projets industriels de grande taille et à les accueillir. Les difficultés
ne sont pas que salariales. Elles tiennent aussi, par
exemple, à la difficulté de trouver des terrains. La problématique
foncière est souvent sous-estimée. Enfin, nos entreprises
de taille intermédiaire, grandes créatrices d'emplois,
ont été longtemps handicapées par un régime juridique qui
les a fragilisées dans des phases de changement d'actionnaires
- lors des héritages en particulier. Les forces comme les
faiblesses de l'industrie française sont plurielles.
AMMag - Une taxe carbone serait-elle le Graal ?
D. C. - Plutôt un contrepoint bienvenu. Ce serait d'ailleurs
un atout pour les industriels européens et pas seulement
français. C'est au niveau européen qu'un tel système de
taxation devrait être défini. Les règles sociales et environnementales,
actuelles ou en discussion, constituent des handicaps
de court terme. À long terme, ces réglementations,
bien calibrées, seront vertueuses car elles élèvent le niveau
technique des industriels, répondent aux exigences des
clients et favorisent la prise en compte des effets externes de
l'activité industrielle. À court terme, elles favorisent les pays
qui refusent de réguler ou de protéger les citoyens et l'enviNotre
point faible est probablement
la difficulté à favoriser
l'émergence de projets industriels
de grande taille et à les accueillir.

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