Arts&MétiersMag - N°432 - Décembre 2021/Janvier 2022 - 36

DOSSIER RÉINDUSTRIALISATION
les rémunérations de 3 à 4,5 fois le Smic. Depuis, l'État
soutient continûment l'industrie, notamment via des appels
à projet qui profitent aux filières et technologies d'avenir (3)
,
les programmes d'investissements d'avenir. Le plan
France 2030, dévoilé en octobre par le gouvernement, joue
également la carte de la réindustrialisation. C'est «l'amendement
le plus cher de la Ve
République», a déclaré Valérie
Rabault, présidente du groupe PS à l'Assemblée nationale,
le 8 novembre. Le gouvernement venait de faire adopter,
dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2020,
un budget de 34 milliards d'euros destiné au plan
France 2030, à dépenser sur cinq ans. Sur les 50 députés
présents, 48 ont voté «pour», au terme d'un débat de quarante-cinq
minutes. L'amendement a obtenu la quasi-unanimité
de l'Hémicycle. L'industrie, après un hiver de plus
de trente ans, susciterait-elle enfin le consensus politique ?
Dès le début du quinquennat Macron, plusieurs mesures
ont confirmé le recentrage sur une politique économique
de l'offre, qui privilégie l'investissement des entreprises
plutôt que la demande des consommateurs (voir la synthèse
ci-contre, p. 37). Et 6 milliards d'euros sur les 10 milliards
de baisse des impôts de production bénéficient directement
au secteur industriel. L'objectif est la simplification de la vie
des entreprises et l'encouragement de l'investissement. Dans
le même temps, de nouvelles offensives gouvernementales
cherchent à faciliter l'implantation d'usines sur le terrain,
via les territoires d'industrie et la loi d'accélération et de
(3)
Par exemple, une aide de 9 milliards d'euros a été programmée sur cinq ans
pour l'hydrogène.
Chute de 5 points
UNION EUROPÉENNE
(28 pays)
ZONE EURO (19 pays)
ALLEMAGNE
ESPAGNE
FRANCE
ITALIE
ROYAUME-UNI
19,6
16,5
19,9
22,8
17,6
16,2
20,9
17,5
19,4
23
17,8
15,7
19,5
14,7
17,6
23,4
15
12,7
17,8
10,1
Thomas
Huriez,
fondateur
de 1083,
fabricant
de jeans
écoconçus
dans
l'Hexagone.
Le sans-usine,
ce mal auquel
la France a cédé
Évolution de l'industrie manufacturière dans
la valeur ajoutée de l'ensemble de l'économie en
valeur courante (en %)
1995 2000 2007 2015
18,6
15,9
16,9
22,8
14,2
11,2
15,8
9,8
Même si l'industrie britannique fait pire, la nôtre n'est guère en
meilleure forme : l'industrie manufacturière française ne pesait
plus que 11 % de l'économie totale en 2015.
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N°432 / Décembre 2021-janvier 2022
La France a pleinement adhéré
au «fabless» (ou sans-usine)
aux conséquences
catastrophiques. Ce concept
désigne une entreprise qui conçoit
des produits en France mais en
sous-traite la fabrication dans
d'autres pays, à la main-d'œuvre
peu payée et aux faibles exigences
environnementales et sociales. Ce
modèle - qui réussit encore à Nike
ou Apple - a coûté la vie à Alcatel.
Le 26 juin 2001, lors d'un colloque
à Londres, Serge Tchuruk, patron
du conglomérat Alcatel-Alstom, a
déclaré vouloir engager son groupe
vers un tel modèle sans usine. Les
trois quarts des 120 sites de
production ont été fermés pour
augmenter la compétitivité, les
prix de revient en France étant
trop élevés. Grâce à cette
opération, Alcatel, un des
champions mondiaux des
télécommunications, a fini... par
mourir. En 2015, Nokia en acquit les
restes, maigres comme peau de
chagrin. Fin de l'histoire.
De fins conseillers, dans le privé
comme dans les ministères, ont
encouragé les délocalisations sans
discernement. Bernard Bismuth,
professeur à HEC et ancien chef
d'entreprise, se le rappelle encore :
«Je me souviendrai toujours de
celui qui m'a dit : " Vous ne
comprenez rien, nous sommes un
pays de penseurs et de
concepteurs ! On va tout faire
fabriquer ailleurs, dans des pays
pas chers, mais on gardera les
centres de recherches et la
maîtrise du produit. " » Funeste
erreur car, poursuit-il, «perdre un
savoir-faire va vite. Se le
réapproprier est long et coûteux».
Le cas de l'entreprise 1083 (1)
de
fabrication de jeans écoconçus
dans l'Hexagone en est la preuve. Il
a fallu à son fondateur, Thomas
Huriez, «une dizaine d'années
avant de reconstituer un tissu
économique local composé de
l'ensemble des sous-traitants
nécessaires à la fabrication de
vêtement réalisés en toile denim,
en plus de [ses] ressources
propres».
(1)
https://www.1083.fr
D. K.
Bernard
Bismuth,
professeur
à HEC et
ancien chef
d'entreprise.
SOURCE : EUROSTAT, COMPTES NATIONAUX, BASE 2010, «INSEE PREMIÈRE» DU 9 MARS 2017
PHOTOS DR
https://www.1083.fr
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