Arts&MétiersMag - N°428 - Juin/Juillet 2021 - 71

Letizia Boniface,
femme de Pierre (Ai. 163)
Huguette Barlet,
femme de Georges (Ai. 162)
Henri Frier
(Ai. 163)
et Djamel Khamès,
rédacteur en chef
adjoint
Voyage avec un âne
dans les Cévennes
- périple illustré
de Robert Louis Stevenson,
Éd. de Borée, avril 2021, 186 p.
Dandy
et étonnant
voyageur
CLASSIQUE Le texte de Stevenson
a fait l'objet d'innombrables publications
(1)
. Cet album lui associe des
images contemporaines de l'ânier
novice en 1878, entre Le Monastier-sur-Gazeille
(Haute-Loire) et
Saint-Jean-du-Gard. Le traducteur
n'est pas cité. Peut-être parce que
c'est, à ma connaissance, la première
fois que l'onomatopée «vrouit» des
muletiers qui usent de la badine est
traduite en «prout» !
On ne se lasse pas de la modernité
de l'approche de l'écrivain, randonneur
«pour le plaisir de voyager».
Son lecteur ingénieur sourira de sa
conception d'un étonnant sac de
couchage-valise, «sorte de long rouleau
ou saucisson en bâche verte
imperméable à l'extérieur et en fourrure
de mouton bleu à l'intérieur»,
qui s'avère trop lourd à porter une
fois fabriqué - il décida à 21 ans
qu'il ne serait pas l'ingénieur dont
son père rêvait. C'est pour porter
cet «énorme attirail» qu'il acheta
Modestine, sans qui le chemin
Stevenson aurait pu être banal. L'album
comprend des notes sur la sériciculture
et les mines dans les
Cévennes. Cet ouvrage hybride...
sort des sentiers battus ! H. F.
(1) Dont «Mes Barricades mystérieuses» de J.-B.
Marsaut, alias Jean-Baptiste Micewicz (Cl. 177).
Les Murs blancs
de Léa et Hugo Domenach,
éd. Grasset, mars 2021, 318 p.
Esprit, es-tu là ?
RÉCIT Le titre fait référence à une
maison de Châtenay-Malabry
(Hauts-de-Seine) acquise en 1939
par Emmanuel Mounier, fondateur
de la revue «Esprit», pour y abriter
en «impropriété» une communauté
intellectuelle. À sa mort en 1950,
Jean-Marie Domenach, Résistant et
intellectuel, est promu patron d'«Esprit»
et maître du domaine, garant
de sa «constitution murblanquiste».
Deux de ses petits-enfants retracent
l'histoire du «phalanstère» où sont
passées tant de figures de la deuxième
gauche. «Ici, se sont jouées
de grandes batailles politiques
d'après-guerre», écrivent-ils dans
un récit sans complaisance. D'autres
auteurs avaient déjà traqué derrière
l'unité de façade les batailles d'ego,
le patriarcat caricatural et les drames
humains. Un des intérêts de ce récit
réside dans le portrait fouillé de Paul
Ricœur, mentor politique d'Emmanuel
Macron, auquel il offrit de l'assister
dans l'écriture de son dernier
livre important (1)
. La rencontre des
auteurs avec le président se veut «en
même temps» point d'orgue du récit
et point d'interrogation sur l'héritage
d'une aventure intellectuelle
de plus d'un demi-siècle. On sent,
hélas, que l'éditeur a pesé pour un
suspense final déplacé. Travail d'historien
à venir ?
H. F.
(1)
«La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli», éd. Seuil,
janvier 2003, 736 p.
Mademoiselle Baudelaire
d'Yslaire, éd. Dupuis, coll. Aire libre,
avril 2021, 160 p.
Parfum
érotique
BANDE DESSINÉE Qui était Charles
Bau delaire ? Un dandy névrosé vivant
aux crochets de sa riche famille
? Un auteur immoral pour sa
pudibonde époque (six poèmes des
«Fleurs du mal» furent interdits) ?
Un poète génial ? Yslaire, qu'on devine
aussi torturé qu'intransigeant,
expose une partie cachée, au nom
des bonnes mœurs, de la vie du
poète. Il entretenait une relation
passionnelle avec Jeanne Duval, la
«Vénus noire». Son œuvre en sera
indélébilement marquée.
Yslaire exprime magistralement la
violence des sentiments qu'a suscitée
la «mulâtresse» chez le poète :
de la jeune sensuelle, désinhibée,
jusqu'à la vieille hémiplégique, financièrement
dépendante. Cette
BD, publiée concomitamment au
200e
anniversaire du poète, est un
bel hommage à Jeanne, injustement
rabaissée dans l'imaginaire
collectif à une chose charnelle. Elle
est la narratrice de cet opus. Yslaire,
dont le talent a éclos dans la série
«Sambre», a mûri une belle esthétique
sombre. La composition des
planches, le trait du dessin parfois
appuyé parfois délicat, la mélancolie
que suscitent les lavis et le séquençage
habile portent cette biographie,
servie par un beau texte,
bellement calligraphié.
D. K.
Suites algériennes,
1962-2019, 1re
partie
de Jacques Ferrandez,
éd. Casterman, mai 2021, 144 p.
Blessures
postcoloniales
BANDE DESSINÉE Démarrée en
1986 dans la revue «(À suivre)», la
série «Carnets d'Orient» de Ferrandez
a marqué son époque par
son approche équilibrée entre les
points de vue algérien et français.
Elle retrace la vie des colons (militaires
et fermiers chrétiens) et des
«indigènes» musulmans et juifs au
cours de la période coloniale française,
de 1860 à 1954. L'auteur
poursuivit naturellement avec la
série «Carnets d'Algérie», qui parcourt
la guerre d'Indépendance de
1954 à 1962. La force de cette épopée
repose sur des jeux graphiques
mêlant astucieusement dessins,
esquisses, aquarelles et un fonds
documentaire exceptionnel. Même
les motifs des faïences de la casbah
d'Alger n'ont pas échappé à l'observation
vigilante de Jacques
Ferrandez. Ce fils de Pieds-Noirs,
Algérien de cœur, a fouillé bien des
archives et rencontré de nombreux
témoins et acteurs des deux rives
de la Méditerranée pour écrire cette
longue histoire. Aujourd'hui, il
montre la suite, celle de l'indépendance
confisquée. Il parvient à clarifier
en 144 pages la complexité
des drames qui frappent ce pays...
avec une touche humaine, qui rappelle
que la France est définitivement
liée à l'Algérie. D. K.
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N°428 / Juin-juillet 2021
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