Arts&MétiersMag - N°428 - Juin/Juillet 2021 - 70

CULTURE & LOISIRS À LIRE
par Pierre Boniface (Ai. 163)
Les Arabes dans l'Histoire
de Bernard Lewis, coll. Champs
Histoire, éd. Flammarion,
septembre 2011, 260 p.
Histoire
d'Orient
HISTOIRE Qui n'a pas voyagé en
voguant sur son imagination fertile
dans les récits de l'Orient chatoyant,
ses déserts mystérieux, ses
caravansérails bruyants et ses rues
aux foules inextricables baignées
de senteurs inconnues ? Ou qui n'a
pas tenté de se forger une opinion
sur le monde arabe ?
C'est un ouvrage qu'on ne lâche
plus une fois plongé dedans. Sans
mysticisme aucun, Bernard Lewis
fait passer son lecteur derrière le
miroir en lui présentant une précieuse
vue historique. Ce n'est pas
un livre d'images, encore moins de
clichés. Dès les premières pages,
l'auteur emporte son lecteur dans
une analyse fouillée des origines de
ce monde, ses évolutions historiques,
géographiques et culturelles
: les tribus préislamiques, la
culture des caravanes, des nomades
ruraux, les siècles de rayonnement
artistique et scientifique, les chocs
au contact du reste du monde.
Pour aider son lecteur à embrasser
ce captivant diaporama, Lewis cite
les personnes clés, décrit les influences
entre diverses périodes
auxquelles il se réfère et illustre le
tout de cartes. En annexe, une
chronologie et un glossaire révèlent
encore ce monde.
P. B.
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N°428 / Juin-juillet 2021
Vivre avec nos morts
de Delphine Horvilleur,
éd. Grasset, mars 2021, 234 p.
Leçon
de vie
PHILOSOPHIE Il est des ouvrages
qui bousculent et enrichissent nos
réflexions et apportent même, parfois,
des réponses à nos quêtes personnelles.
Ce livre en est un. Cet
éblouissant opus interroge celui
qui, athée, agnostique ou croyant,
vit avec ses morts sur les forces d'en
haut, le grand Peut-Être.
Delphine Horvilleur, jeune rabbine
lumineuse et radieuse, nous fait
participer à l'accompagnement des
familles dans les cimetières, ces
lieux endeuillés où son rôle
l'amène, telle une tisseuse, à renouer
par des mots les liens défaits
par la mort entre les éléments de la
vie, les êtres, la tradition et à transmuer
cette mort en tremplin de vie.
À la tristesse, au choc de l'absence
dû à la mort, elle substitue avec
naturel et simplicité la consolation
du vécu. Elle véhicule une vision
fondamentalement positive, qui
replace chacun de nous dans une
chaîne continue de valeurs humaines
basées sur les références
bibliques, communes aux trois monothéismes.
Cet ouvrage à portée
philosophique apprend dans une
langue brillante, riche d'images et
d'évocations, non pas à mourir
comme disait Montaigne, mais à
vivre et transmettre la vie. L. B.
Les Terres promises
de Jean-Michel Guenassia,
éd. Albin Michel, mars 2021, 611 p.
L'espoir
ROMAN Voici enfin la suite du
«Club des incorrigibles optimistes»
! On y retrouve les personnages
attachants de Michel, son
frère Frank, Camille, Cécile et Igor,
ainsi que tous ceux qui gravitent
autour d'eux, loin de Paris, menant
leur vie d'adulte de 1964 à 2000.
Autant de destins accompagnés sur
plusieurs années vers leurs «terres
promises». Pour les atteindre, ces
avenirs fantasmés, ils en auront, du
chemin à parcourir.
Leurs vies seront faites de coups du
sort et de filiations établies davantage
par choix que par le sang.
Ainsi, Frank, communiste, déserteur,
vit la douloureuse décolonisation
algérienne et cherche son
salut dans le monachisme orthodoxe
d'une Russie convulsive. Igor,
médecin, quitte Israël et retrouve
Frank dans son monastère de l'Oural.
Photographe reconnu, Michel
tente de renouer les liens.
L'époque est bien décrite : l'évolution
de la société française, l'indépendance
de l'Algérie, le déclin du
communisme en URSS, l'histoire
d'Israël et des juifs en URSS. Riche
et humain, ce deuxième volet est
écrit avec les mêmes énergie, tendresse
et rythme que le premier.
H. B.
Pachinko
de Min Jin Lee, traduit de
l'anglais par Laura Bourgeois,
Éd. Charleston, janvier 2021, 624 p.
Résilience
et compassion
ROMAN C'est un voyage, cette saga
d'une famille coréenne dont les
membres traversent, sur quatre générations,
les aléas de l'Histoire. Au
XXe
siècle, dans la Corée des années
20 occupée, une jeune femme
pauvre, Sunja, enceinte d'un
homme qui se révèle marié, accepte
d'épouser un pasteur chrétien
qu'elle ne connaît presque pas et le
suit au Japon.
La Corée a été annexée en 1910 par
le Japon, qui n'acceptera jamais les
Coréens exilés : on les appelle «zainichi»,
«étrangers résidant au Japon»,
même s'ils y vivent depuis des
générations. Ils y subiront comme
les autres la misère qui suivit la défaite
japonaise durant la Seconde
Guerre mondiale. Le roman évoque
l'impossible intégration comme
l'impossible retour en Corée. Le seul
commerce que la communauté
d'origine coréenne pouvait développer
et contrôler à 90 % était le «pachinko»,
croisement entre flipper
et machine à sous. Aux prises avec
l'exil et le racisme, les personnages
sont bouleversants d'humanité.
Une part belle est faite à de magnifiques
portraits de femmes, qui, à
force d'y être soumises, finissent
par trouver normale cette injonction
: «Le destin d'une femme est
de souffrir.»
H. B.
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