Arts&MétiersMag - N°428 - Juin/Juillet 2021 - 51

Les amis, famille choisie
Pour la difficile érection de la colonne de Juillet,
place de la Bastille, à Paris, Pierre Saulnier obtint
une médaille d'or à l'Exposition de 1839 .
il inventa une machine à tréfiler, étudiée pour
les cardes. Très performantes, ces machines
équiperont la toute neuve tréfilerie de Mérouvel,
à l'Aigle dans l'Orne, primée à l'Exposition de
1823. À partir de 1825, il s'employa à perfectionner
les machines à carder, qui s'avèrent
meilleures que les machines référentes américaines.
C'est ainsi que deux ans plus tard, Pierre
Saulnier fournit 14 machines à carder animées
par une roue hydraulique dans l'Oise, à Neuillysous-Clermont
et à Liancourt.
TOUCHE-À-TOUT DE GÉNIE
Les drames de la vie feront de Pierre Saulnier
le solide pilier d'une belle saga au sein de la
famille Arts et Métiers de Compiègne (lire cicontre).
Il demeura au 5, rue Saint-AmbroisePopincourt,
Paris 11e
. Côté carrière, il obtint
des médailles d'or prestigieuses aux Expositions
de 1834 pour la fabrication de machines à vapeur,
en 1839 pour le «succès dans l'opération
difficile du montage de la colonne de Juillet»,
place de la Bastille, à Paris. Il fut nommé dans
l'ordre de la Légion d'honneur. Inventeur fécond,
Pierre Saulnier déposa des brevets dans
des domaines très divers : essieux et suspensions
de voiture, machines à peigner la laine, à
En 1803, quatre adolescents, de
17 à 12 ans, internes, découvrent
le château de Compiègne, dans
l'Oise, qui abrite la novatrice École
d'Arts et Métiers relancée le
25 février par Bonaparte sur le
concept du duc de Liancourt, validé
depuis 1780. Par ordre d'arrivée à
l'École, il y a : Irénée Ignace Paucton,
né en 1786 à Strasbourg, admis à
Liancourt en 1798, école transférée à
Compiègne en 1800 ; Charles
Dauban, né en 1790, admis au
prytanée de Compiègne en 1801 ;
Pierre Saulnier, né en 1790 en
Normandie, admis dès 1803 grâce à
son père ; et Jean-Baptiste
Lacombe, né en 1785 à SaintDomingue
(future Haïti), admis en
mai 1803. Bons élèves, tous les
quatre furent félicités par le Duc le
16 septembre 1806.
Comme Saulnier, Jean-Baptiste
Lacombe, 21 ans, quitte l'École en
décembre 1806 et se marie avec
Marie-Agnès Saulnier, la sœur de
Pierre. Le couple aura trois enfants.
De son côté, Irénée Paucton épouse
Marie-Josèphe Ledoux en 1816, à
Neuilly-sous-Clermont (Oise). Le
registre est signé par le Duc, qui
offre une bague. Irénée crée son
entreprise de mécanique. Leur fille,
Victoire, naît le 31 janvier 1818. Mais
cette enfant ne connaîtra jamais son
père, décédé deux mois plus tôt, à
31 ans, d'une pleurésie. La jeune
mère hérite de l'entreprise de son
mari. Désemparée, elle se tourne
vers Pierre Saulnier, 27 ans, pour la
gestion, puis l'épouse en 1819.
Quatre ans plus tard, le couple a un
fils, Alphonse.
Charles Dauban, lui, enseigne les
mathématiques à l'école de
Beaupréau (Maine-et-Loire),
créée en 1811, où sa mère est
lingère. Il se marie en 1819 avec
une cousine d'Irénée Paucton. Il
dirige l'École à Angers, quand
Alphonse Saulnier y entre en 1838.
Un an plus tard, Charles sera le
témoin du mariage de Victoire
Paucton avec Charles Doublet (1)
.
Mais les drames se poursuivent. À
un mois d'intervalle en 1825, les
époux Lacombe meurent dans la
force de l'âge, laissant trois orphelins
de 17, 13 et 6 ans. Les Saulnier, qui
élèvent déjà Victoire Paucton (7 ans)
et Alphonse Saulnier (2 ans),
recueillent leurs trois neveux. Pierre
Saulnier devient le père de cette
grande tribu, tous enfants de
Gadzarts de la Compiègne 1803 !
Nouveau coup du sort huit ans plus
tard. En 1833, année de la terrible
épidémie de choléra, Marie-Josèphe
meurt. À 43 ans, Pierre Saulnier est
veuf. Les filles aînées s'occupent des
plus jeunes : Henry Lacombe,
14 ans, et Alphonse Saulnier, 10 ans.
Henry s'établira au Portugal en 1847
et Alphonse (An. 1838) secondera
son père dans ses entreprises.
(1)
Son descendant, Jean Doublet, est passé à
Liancourt en février 2020. Après de nombreux
échanges fructueux et des recherches
croisées, il nous a gracieusement ouvert
ses archives familiales.
fabriquer des dragées, à cuire du plâtre - pour
ce brevet, il fut mandataire du grand sculpteur
Marochetti -, etc. Pierre Saulnier (Co. 1803)
et son fils Alphonse (An. 1838) furent membres
fondateurs de la Soce en 1846 et sociétaires
jusqu'à leur départ aux Amériques. Car la vie
fut florissante jusqu'au terrible krach de 1847.
Jean-Baptiste
Lacombe
(Co. 1803), aîné
des quatre amis et
beau-frère de
Saulnier,
en uniforme
de Gadzarts.
Alphonse
Saulnier
(An. 1838)
secondait
son père dans
ses entreprises.
Accompagnant
la ruée vers l'or
californienne,
Saulnier déposa
plusieurs
brevets à
San Francisco
en 1852. Ici,
une publicité
bilingue
parue quand
il vivait encore
à New York.
Les conséquences économiques furent lourdes,
notamment dans le secteur majeur du textile,
qui s'effondra de plus de 50 %, entraînant de
nombreuses faillites. Fabriquant des broches et
cardes, les entreprises de Pierre Saulnier furent
mises en liquidation en 1850. Avec son fils
Alphonse, Pierre Saulnier émigra aux États-Unis
à 59 ans. D'abord à New York, puis, accompagnant
la ruée vers l'or californienne, à San
Francisco, où il déposa plusieurs brevets en
1852. Père et fils s'installèrent au Chili trois ans
plus tard, où ils construisirent des machines,
presses et matériels de fonderie de métaux.
Pierre Saulnier décéda le 31 décembre 1859, à
69 ans. Après avoir enterré son père à Santiago
du Chili, Alphonse rentra en France, où il
mourra neuf ans plus tard, à 45 ans.
Michel Mignot (Cl. 160)
Sources et remerciements
Fondation AM ; archives de la Marne ; rapport de
Claude-Pierre Molard, membre de l'Académie
des sciences, du 25 mai 1827 sur les travaux de
Pierre Saulnier, qui lui vaudront une médaille
d'argent ; archives familiales de Jean Doublet.
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N°428 / Juin-juillet 2021
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ARCHIVES FAMILIALES DE JEAN DOUBLET
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