Arts&MétiersMag - N°428 - Juin/Juillet 2021 - 48

CONFÉRENCES & DÉBATS COURRIER
LE BILLET
Dans son édition
d'avril 2021, p. 53,
AMMag publiait une
lettre de Patrice Flot,
polytechnicien, qui
réagissait à propos du
dossier paru en février 2021,
p. 36, consacré à l'hydrogène.
Ce courrier a fait à son tour réagir
Georges Sapy (Bo. 164).
Ce Gadzarts a passé sa carrière
chez EDF, notamment dans
l'ingénierie des moyens
de production d'électricité
(centrales électrogènes nucléaires
et thermiques).
Variations sur hydrogène
«Le courrier de Patrice Flot est intéressant mais je n'en partage pas complètement
les conclusions. D'abord, brûler de l'hydrogène " vert " dans un
moteur thermique, c'est passer par le rendement de Carnot, c'est-à-dire
perdre beaucoup d'énergie en chaleur. De plus, si on peut sans doute espérer
un rendement allant jusqu'à 40 % au point de fonctionnement optimal,
ce rendement chute beaucoup quand on s'écarte de ce dernier. C'est
le cas pour les moteurs essence (un peu moins pour les moteurs Diesel),
dont le rendement maximal est de l'ordre de 35 %, voire un peu plus,
mais dont le rendement moyen en circulation se situe entre 25 % et 30 %,
compte tenu des changements des régimes moteur imposés par la circulation.
Or, un bus de ville fait en permanence varier son régime de fonctionnement
avec de très nombreux arrêts. Comment se comportera un
moteur à hydrogène dans ces conditions ? Je n'ai pas la réponse précise,
mais elle n'est pas mineure.
«Une pile à combustible a un rendement de l'ordre de 55 % à 60 % en
régime nominal. Elle n'aime pas non plus les variations de puissance rapides,
c'est pourquoi on lui associe toujours une batterie tampon, qui a
peu de capacité énergétique (ce qui réduit son coût, qui lui est proportionnel),
mais une puissance instantanée importante pour s'ajuster aux
besoins. L'association pile à combustible-batterie permet de conserver un
fonctionnement proche du rendement optimal. On ne devrait donc pas
être très loin d'un rendement double de celui d'un moteur thermique en
circulation réelle.
«L'équation économique doit alors être envisagée globalement. Certes, un
moteur thermique coûte moins cher qu'une pile à combustible, mais cette
dernière en est au tout début de son usage et on peut espérer des baisses
de prix avec les progrès techniques à venir. D'autre part, et surtout, on
utilise ici l'hydrogène " vert " obtenu par électrolyse, qui est un combustible
très cher. Le rendement devient alors un paramètre essentiel de compétitivité.
C'est le coût global au kilomètre parcouru qui est le bon critère,
pas seulement le coût d'investissement initial.»
Georges Sapy (Bo. 164, Supélec 70)
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48 Arts&MétiersMAG
DE MICHEL HARMANT
Ch. 161
Culture
Les deux
combats sont à
mener de front :
la lutte contre
le gaspillage et
la gestion plus
frugale et plus
performante
de nos
consommations.
et champ de réflexion
C'est une banalité de le dire : la pérennité et peut-être même
la survie de la civilisation, ou au moins celle de nos conditions
de vie, ne peuvent plus se concevoir sans l'apport de la science
et de la technologie. Trop peu de nos contemporains en ont
conscience. Ceux qui cultivent la connaissance et maîtrisent
le raisonnement en sont convaincus, mais la majorité de nos
semblables est sensible avant tout aux prédictions catastrophistes,
parfois fondées, mais le plus souvent instrumentalisées
à des fins politiques. Les vrais dangers existent, mais les
nommer ne fait pas recette auprès du public, plus enclin à
écouter des slogans qu'à se livrer à leur analyse critique.
Il est naïf de croire que les ressources naturelles de notre planète
sont illimitées. Il est tout aussi naïf d'imaginer que l'élargissement
à tous les habitants de la Terre de l'accès à ces
ressources aurait pour effet d'accélérer la venue de la catastrophe
finale. Nous n'en sommes qu'au début de l'apprentissage
de la saine gestion
de nos consommations et
sommes loin d'avoir mis un
terme à nos comportements
conduisant au gaspillage. Il est
plus important pour nous, qui
sommes conscients de cette réalité,
de laisser aux générations
suivantes l'héritage d'une saine
gestion des ressources naturelles
que d'espérer stopper ou seulement
ralentir fortement notre
rythme de consommation. Mais
les deux combats sont à mener
de front, la lutte contre le gaspillage et la gestion plus frugale
et plus performante de nos consommations.
On n'empêchera pas la perspective d'une catastrophe, ou la
perception d'un danger, de déclencher un sentiment de peur.
Si la peur n'éloigne pas le danger, elle peut posséder une vertu,
celle d'inciter à préparer une parade à la menace et à mobiliser
des moyens de minimiser les effets de l'accident, à défaut
d'avoir pu l'éviter. La peur est redoutable, car elle se répand
de façon virale. Aussi, la provoquer ou la répandre inconsidérément,
ou encore l'utiliser de façon démagogique est un
très mauvais service rendu à la collectivité. Une crise ne doit
pas servir d'excuse aux comportements désordonnés, provoqués
par un climat de peur exagérément entretenu.
La peur de l'inconnu est une phobie vieille comme le monde.
Elle induit des réflexes à contresens de la résolution des problèmes.
Le salut n'est pas dans l'abandon ou dans la résignation
à l'inéluctable, mais dans la quête de toujours plus de
connaissances non biaisées, de toujours plus de raisonnements
éduqués et construits. Les défis sont là pour être relevés, pas
pour faire sombrer les êtres humains dans la résignation suicidaire.
Les difficultés et les énigmes sont avant tout des stimulants
de l'acquisition de connaissances, des motifs à élargir
sans cesse notre champ de réflexion.
Ce dont il faut se méfier le plus est la tentation du repli dans
un cocon aseptisé, dans lequel il n'y aurait plus aucune
inspiration, plus aucune envie, plus aucun défi, plus aucun
combat, plus aucune victoire.
N°428 / Juin-juillet 2021
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