Arts&MétiersMag - N°423 - Décembre 2020/Janvier 2021 - 67

LE BILLET DE MICHEL HARMANT

L'article consacré au Comptoir
général du ressort et à sa
transformation, paru dans le
numéro de novembre d'AMMag,
p. 24, a suscité l'intérêt du
responsable prix et bourses de la
Soce qui salue l'expérience.

L'individualisme :
danger culturel

Entreprise libérée et exemplaire
«L'article " Les Ressorts humains du CGR " de votre numéro de novembre relate
une expérience dont l'importance me paraît capitale. D'abord un grand coup
de chapeau à ses promoteurs qui ont réussi une transformation radicale de
l'entreprise, pour le meilleur. C'est l'illustration parfaite de cette idée, somme
toute presque évidente, que c'est en permettant aux salariés de retrouver le
sens de leur travail, en leur donnant à voir la responsabilité finale de leur activité que l'on peut les motiver, leur faire donner le meilleur d'eux-mêmes et
accroître leur efficacité. Avec, au bout du compte, des salariés heureux et une
entreprise plus compétitive. Du " gagnant-gagnant " !
«À l'heure où l'on parle beaucoup de responsabilité sociale de l'entreprise,
voilà un cas concret qui devrait en inspirer bien d'autres. Les relations sociales
sont encore trop souvent en France le terrain d'affrontements plutôt que celui
du dialogue, créant un climat de défiance dont il serait temps que l'on se
débarrasse. La compétitivité globale des entreprises françaises - et plus généralement de la France - passe par là. Il serait intéressant de prolonger cet
article par d'autres qui relateraient la méthode suivie par CGR pour réaliser
cette transformation qui n'a pas dû être simple à mettre en œuvre. Pour preuve,
certaines personnes ne peuvent pas suivre, comme le mentionne l'article. Et
l'on voit bien que, pour aboutir, il faut trouver un leader qui va entraîner tout
le monde. On sent bien aussi que ce type d'organisation est plus facile à mettre
en œuvre dans les PME ou les ETI. Pour les grandes, l'organisation en " business
units " responsables de leur compte d'exploitation est un pas dans cette direction. Certains grands groupes l'utilisent déjà.
«Je suggère également qu'AMMag recherche d'autres témoignages d'expériences d' " entreprise libérée " pour nourrir des échanges sur ce sujet.»
Pierre Orsoni (Li. 156)

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CONFÉRENCES & DÉBATS COURRIER

La façon occidentale de concevoir les droits de l'homme, d'en faire
parfois une pédagogie agressive, va à l'encontre de l'universalisme
que nous invoquons complaisamment. Prôner un universalisme
égalitaire sur le seul pouvoir d'accès aux biens matériels étonne
les populations qui ne partagent pas notre culture. Elles perçoivent
cette vision comme une forme d'aveuglement. La dérive individualiste de notre mode de vie heurte leur conscience collective.
L'image d'une société dans laquelle la relation humaine serait réduite au rapport entre chaque individu, pris isolément, et une
autorité commune imposée, n'a pas de quoi séduire ces populations. Elles n'adhèrent pas à l'idéal social caricaturé par l'universitaire américaine Sherry
Turkle(1), sous la formule «seuls
L' " ultraconnectivité " ensemble». Leurs réactions
donne l'illusion de
prennent des formes très différentes selon les croyances et les
faciliter les liens
coutumes auxquelles elles sont
entre tous les
attachées. L'incompréhension
hommes, alors
peut se traduire par de la
qu'elle se borne
condescendance amicale, et, à
souvent à fournir
l'autre extrême, en hostilité belun réceptacle à une
liqueuse et violente.
juxtaposition de
La Déclaration universelle des
monologues.
droits de l'Homme de 1948,
largement inspirée par les idées
révolutionnaires françaises, a le défaut d'exalter le concept d'individu affranchi de son milieu géographique, culturel, familial,
spirituel. Notre universalisme nous pousse à réduire l'humanisme
à une forme d'humanitarisme. Parce qu'elles donnent le sentiment
de s'en prendre à la culture locale, nos missions humanitaires ne
sont pas toujours appréciées pour les bienfaits qu'elles distribuent.
Plus globalement, les peuples d'autres cultures n'acceptent pas
que l'Occident donne des leçons de démocratie alors que les
dérives dans l'usage de nos institutions nous ôtent le privilège de
l'exemplarité. Il est paradoxal que les dirigeants de l'Union européenne se fassent les chantres de la subsidiarité alors que les gouvernements font la sourde oreille à la sagesse des peuples.
Quelles que soient nos coutumes et croyances, la confiscation
arbitraire de l'autonomie des personnes et la privation d'initiative
sont ressenties comme des atteintes aux libertés individuelles. Il
est vain, dans ce contexte, d'essayer de promouvoir l'adhésion à
une idéologie universaliste dont l'image est brouillée. L'extension
sans limite du monde virtuel distend le lien que nous avons avec
des repères stables et libère des instincts destructeurs. Les verbes
commençant par «dé», comme déconstruire, déstructurer, dématérialiser, déboulonner, sont à la mode.L'«ultraconnectivité» donne
l'illusion de faciliter les liens entre tous les hommes, alors qu'elle
se borne souvent à fournir un réceptacle à une juxtaposition de
monologues. Les ingénieurs, qui créent les moyens techniques
de la numérisation universelle, ont plus que jamais la lourde responsabilité de s'intéresser aux usages qui seront faits de leurs
créations, autant qu'aux méthodes qui les feront aboutir. Cette
responsabilité n'est pas nouvelle, mais elle prend une forme inédite avec l'accès généralisé à la virtualité, sans considération des
différences de culture entre les usagers potentiels.
Psychologue, professeur au MIT.

(1)

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