Arts&MétiersMag - N°412 - Octobre 2019 - 21

AMMag - Si aucun successeur au lithium-ion
n'est en vue, peut-on faire progresser encore
cette technologie ?
R. Y. - Hélas, depuis quatre ou cinq ans, force est de
constater que le lithium-ion stagne autour de
250 wattheures par kilogramme en énergie massique et
de 700 wattheures par litre en énergie volumique. De
temps à autre, une communication scientifique fait
état d'une amélioration sur l'un ou l'autre de ces para-
mètres, mais c'en est un autre - par exemple, la durée
de vie ou la puissance - qui se dégrade. Sans compter
que les solutions étudiées en laboratoire ne sont pas
forcément exploitables à l'échelle industrielle.
Finalement, tous les fabricants réputés affichent
aujourd'hui des performances comparables, autrement
dit le même compromis technique global.

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de larges surfaces. Les grands constructeurs automobiles
ont en tout cas retenu le lithium-ion à électrolyte liquide
en raison de l'excellent compromis qu'il présente en
capacité de stockage, en puissance disponible, en durée
de vie, en sécurité et, bien sûr, en coût. À mon avis, malgré
l'intense activité de recherche déployée autour de la
batterie tout solide, celle-ci a peu de chances de faire de
l'ombre au lithium-ion classique dans les prochaines
années. Je n'ai pour l'instant observé aucune avancée
significative en ce sens. Ma longue expérience de cher-
cheur m'a d'ailleurs appris que lorsqu'il y a vraiment
beaucoup de monde à plancher sur le même sujet, cela
aboutit rarement aux résultats escomptés ! Pour innover,
il faut au contraire penser différemment.

RACHID YAZAMI

Ingénieur diplômé (1978) de
l'École nationale supérieure
d'électrochimie et
d'électrométallurgie de
Grenoble, Rachid Yazami est
également docteur de l'Institut
national polytechnique de
Grenoble. C'est dans le cadre de
sa thèse qu'il est parvenu pour
la première fois à introduire
du lithium dans du graphite
de façon réversible, ouvrant
ainsi la voie au développement
des batteries lithium-ion
rechargeables. Entré au CNRS
en 1985, il sera nommé directeur
de recherche en 1998. Lauréat
du prix d'ingénierie américain
Draper en 2014, Rachid Yazami
a enseigné l'énergétique à la
Nanyang Technological
University de Singapour jusqu'en
2018. C'est aussi à Singapour,
en 2011, qu'il a fondé la société
KVI Pte Ltd au sein de laquelle
il mène aujourd'hui des travaux
sur l'optimisation des batteries.
Enfin, il a été nommé pour le prix
Marius-Lavet en 2015.

processus de recharge électrique. La praticité du véhicule
électrique ne dépend pas seulement de son autonomie,
mais aussi de son aptitude à «refaire le plein» rapi-
dement, en quinze minutes par exemple. C'est d'ores et
déjà une réalité, mais au prix d'un vieillissement accéléré
de la batterie, d'un échauffement important - suscep-
tible de pro-voquer des incidents - et d'une recharge
incomplète. Pour parvenir à des recharges complètes en
moins de deux heures, il faudra nécessairement passer
du processus CC/CV usuel [«constant current/constant
voltage», courant constant, tension constante, NDLR]
à des méthodes non linéaires qui s'adapteront à chaque
instant aux véritables capacités d'absorption de la batte-
rie. Chez KVI [lire l'encadré], nous développons et
brevetons des protocoles et des composants qui vont
justement permettre d'optimiser cet aspect essentiel de
l'exploi-tation des batteries. En partant de simples
mesures physiques, telles que la tension, le courant
électrique ou la température, et en les traitant dans une
puce élec-tronique, véritable cerveau du dispositif, nous
obtenons en temps réel l'enthalpie et l'entropie du
système électrochimique. C'est grâce à ces valeurs ther-
modynamiques qu'une recharge adaptée et optimale
devient enfin possible. Concrètement, cette méthode
fait appel à une boucle de rétroaction entre le chargeur
et l'accumulateur dont les réactions physico-chimiques,
une fois décryptées par notre algorithme, commandent
et corrigent en permanence le courant injecté. On aboutit
ainsi en toute sécurité à la recharge la plus rapide possible
quel que soit l'état de santé de la batterie.

AMMag - L'utilisation des batteries lithium-ion
est-elle tout à faire sûre ?
R. Y. - C'est en effet l'un des points clés, qui explique la
relative frilosité des constructeurs automobiles alle-
mands vis-à-vis du véhicule électrique. La vérité, c'est que les problèmes
de sécurité p
- rovenant de l'emballement thermique de ces batteries, qui
peut conduire à des incendies, voire à des explosions, ne sont
pas entièrement résolus. Là aussi, chez KVI, nous avons des
solutions originales à proposer. Le plus souvent, ces embal-
lements sont liés à la naissance de courts-circuits internes,
comme cela a été le cas par le passé pour certaines batteries de
téléphone portable. Celles qui sont installées dans les véhicules
électriques sont évidemment beaucoup plus grosses et les
risques plus importants. Mais ce type de court-circuit n'appa-
raît en réalité pas de façon brusque : il se développe sur
plusieurs mois avec des signes précurseurs que nous sommes
en mesure de détecter grâce à des méthodes entropimétriques
brevetées. Pour faire simple, disons que lorsque de tels défauts
commencent à apparaître, l'évolution de la tension entre les
bornes de la batterie, à une température donnée, diffère en cas
de problème. Cette évolution anormale est détectée par notre
puce et il ne reste plus qu'à isoler l'élément défectueux et à le
remplacer pour éviter tout risque de réaction en chaîne. Cette
méthode fonctionne quels que soient le type et la taille de
l'accumulateur. Avec la multiplication actuelle des fabrications
douteuses, je crois donc que cette application pourrait éga--
lement intéresser les intégrateurs de petites batteries soucieux
de sécuriser leurs appareils.
Rachid Yazami et une de ses puces, capable de recharger une batterie en dix minutes et de

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AMMag - Verra-t-on, malgré tout, l'autonomie
des véhicules électriques grimper dans les
années à venir ?
R. Y. - C'est peu probable avec les mêmes tailles de batteries et les
mêmes modes de gestion. En revanche, on pourrait améliorer le

signaler une batterie défaillante ou sur le point de prendre feu.

Propos recueillis par Jean-Charles Guézel

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