Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Novembre 2016 - n°418 - 371

doctrine

Cybersécurité

Cyberattaques et catastrophes
De l'imposture et autres causes à la sidération des
entreprises

our contrer les menaces et
en réaction aux attaques, les
entreprises s'attachent souvent
à corriger les symptômes et
à agir au plan technique, plutôt qu'à
disposer d'une vision globale pour
intégrer la sécurité. Un bon nombre
d'entre-elles auraient à faire face à de
très grandes difficultés en cas de catastrophe ou de sinistre majeur, malgré
tous les efforts consentis. Pour l'entreprise, si l'effet de sidération laisse dubitatif devant un événement impensable
pour les sceptiques, mais pourtant pas
inimaginable, l'absurdité serait alors
d'être persuadé que seul advient ce
qui a été envisagé au préalable au vu
d'un référentiel d'événements dépourvu
d'imagination ou dépassé.
En fait, il existe des causes profondes à
la situation que nous proposons d'aborder. Certaines sont liées à l'imposture et
à l'image ou s'attachent à des aspects
psychosociologiques, d'autres traitent de
déficits, tandis que la survie impose de
s'adapter et de disposer d'une capacité
de prédiction apte à imaginer des futurs
en rupture avec le passé, et ainsi éviter
la sidération en cas de catastrophe.

L'IMPOSTURE EN GÉNÉRAL
Une imposture1 relève d'actions délibérées visant à masquer la vérité, à
tromper en présentant de fausses apparences, en jouant sur la crédulité des
autres, pour en imposer ou en tirer profit.
Ainsi, pour J.-J. Rousseau2 : « Un imposteur veut être cru sur sa parole, il veut
lui-même faire autorité».
L'imposture n'est-elle pas présente
dans « l'artifice des postures sociales,
des jeux de rôle, des normes conformistes qui nous façonnent et nous
coulent dans des personnalités d'emprunt, aujourd'hui peut-être plus que
jamais » ? quand « tout navigue sous

de faux pavillons », comme l'écrivait
F. Kafka3. En fait, l'imposture n'existe
que par les autres, quand ils feignent de
l'ignorer ou s'en accordent. Elle soulève
des problématiques sociologiques4, déjà
présentées par Molière dans Le Tartuffe
ou l'Imposteur en 1664 et la Comédie de
l'imposteur en 1667, et aussi, psychologiques, avec le syndrome de l'imposteur5,
philosophiques6 et politiques7. Plus
récemment, G. Debord (1967) évoque
une vision postmoderne du monde dont
le système relèverait en fait d'une vaste
imposture, et R. Gori (2013) explique
comment se fabriquent des imposteurs qui ressemblent à notre société,
déguisant les faits et les chiffres pour
masquer d'éventuels défauts, répondant aux exigences des normes et des
procédures pour paraître sous un jour
favorable et progresser plus vite au
sein des entreprises par leur mise en
scène. Les imposteurs s'adaptent à l'environnement dans lequel ils évoluent. Ils
changent facilement d'avis et se jouent
des principes qu'ils prétendent défendre
sans éprouver le moindre remord. Ils
donnent l'impression d'absorber les
valeurs sans en adopter aucune, profitant d'un vide8 au seul bénéfice de leur
propre plénitude, sans se soucier de l'intérêt général. Les imposteurs font légion,
nous les rencontrons et les voyons à
l'œuvre9. L'imposture s'est généralisée,
freinant de front la créativité, et ce qui
est le plus dramatique aujourd'hui, pour
V. de Gaulejac, « c'est qu'il y a de l'imposture sans imposteurs puisque c'est
devenu un système »10.

L'IMPOSTURE DANS
L'ENTREPRISE ET SA PART
PSYCHANALY TIQUE
Encore taboue et largement dissimulée, l'imposture est de plus en plus
problématique pour les entreprises,

EXPERTISES NOVEMBRE 2016

alors que déjà l'orgueil immodéré ou
l'arrogance et l'aveuglement sont inadéquats. L'imposture relève ainsi de l'image
de l'entreprise qui ne serait pas toujours
aussi brillante qu'il n'y paraît, lorsque
des pressions de plus en plus fortes sont
exercées sur les employés, les cadres et
les dirigeants. L'entreprise, privilégiant
sa réputation avant les compétences
et la forme plutôt que le fond, s'oblige
alors à déguiser la réalité tant la compétition ne tolère ni failles, ni faiblesses.
En contrepartie, elle développe du
stress et des angoisses. A son image
correspond celle des hommes qui, face
à leurs désirs et leurs fantasmes, tenteront de donner la meilleure image d'euxmêmes, aussi parfaite que possible, au
risque de frustrations. Ces dernières
sont parfois amplifiées par le désir de
ressembler au modèle, à la norme.
L'imposture s'exercera avec d'autant
plus de succès que l'entreprise est fragilisée par une perte de sens et d'autres
déficits et disposée à suivre les maîtres
imposteurs dont elle se rend complice,
tant qu'il n'y aura pas d'ambition partagée pour s'émanciper et recréer son
avenir en reprenant le contrôle de ce
qui lui a échappé, par une rationalité
plus « humaine » ; ce qui peut être illustré par les propos de G. Canguilhem :
« La raison est régulière comme un
comptable et la vie anarchiste comme
un artiste ! Essayons de créer nos
vies ! ».
Les travaux de M. F. R. Kets de Vries11 ont
contribué à expliquer la part psychanalytique dans l'entreprise névrosée. Ils
dressent un portrait à la croisée de la
psychanalyse et de l'économie, constatant que les névroses des dirigeants et
des organisations ont des liens étroits,
et que le leadership peut être considéré à la fois comme une propriété et
un processus. Concernant « la face
cachée du leadership », les leaders,
soumis à l'exercice de l'autorité,

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