Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Février 2016 - n°410 - 55

Sylvie ROZENFELD : Vous êtes expert judiciaire
en informatique depuis de très nombreuses
années. Vous avez connu l'époque du règne
des grands constructeurs sur leurs clients et
des litiges qui les opposaient. Puis est venue
celle où vous interveniez dans des contentieux d'échec de projets. Il y a cinq ans, votre
confrère expert judiciaire en informatique
Serge Migayron affirmait avoir encore beaucoup de dossiers portant sur des projets d'intégration de systèmes. Il semble que ces expertises longues et coûteuses soient sur le déclin,
car la façon d'intégrer les logiciels évoluent
et passent petit à petit en mode SaaS. Tel est
le constat que dressait le courtier du Syntec
Nicolas Hélénon. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Raymond LEMAIRE : Les deux ont probablement
raison mais sur des points différents. Il y a effectivement
moins d'affaires portant sur l'intégration de systèmes car
l'expertise judiciaire a alourdi le coût des contentieux. Cela
coûte très cher et les sociétés n'en ont plus les moyens. Ce
n'est pas dû spécialement à l'expert judiciaire, qui n'est pas
très bien payé, mais à tous les professionnels impliqués :
avocats, experts conseils, etc. C'est aussi très long.

Même les grandes entreprises n'ont pas les
moyens de ces contentieux avec de lourdes
expertises judiciaires ?
Elles ont surtout les moyens de conclure des transactions.
Une autre raison qui explique la baisse des expertises
tient au fait que nous sommes en période de crise. Nous
savons depuis une quinzaine d'années qu'en période de
crise, il n'y a pas d'affaires dans le domaine informatique.
Les sociétés de services ont beaucoup de personnels et
elles ont du mal à les placer. Elles préfèrent donc les mettre
à disposition des clients, là où il y a des problèmes, pour
remédier à la situation.

La crise est une cause conjoncturelle, mais est-ce
la seule raison ?

J'ai contacté quelques magistrats et des personnes du
ministère de la Justice pour les sonder sur cette idée. Et
ils sont assez ouverts. Tout le monde a intérêt à aller à
l'essentiel, pour gagner du temps et réduire les délais et
les coûts.

La raison de la diminution de ces grosses
expertises n'est-elle pas liée aussi au fait qu'il
y ait moins de contrat d'intégration ?
Il y en a toujours autant. En fait, les entreprises savent
qu'il est difficile de s'en sortir dans un contentieux et
préfèrent trouver des solutions amiables. Le personnel
des intégrateurs est aussi mieux formé. C'est devenu
compliqué, l'intégration de système. Nous sommes
dans un « ménage à trois », avec l'éditeur au milieu,
l'intégrateur et le client. Le client ne veut pas se fâcher
avec l'éditeur, l'intégrateur et l'éditeur ont des accords
de coopération. Ils ont tous intérêt à s'entendre.

Vous êtes faciliteur d'accord ou empêcheur
de litige.
Pas tout à fait. En général, quand il y a litige, il est ancré.
On a besoin d'un peu de temps. Les parties au litige
exposent leurs tenants et aboutissants, leurs forces, leurs
faiblesses. On essaie de trouver des positions d'équilibre.
Si l'on arrive à un terrain d'entente, il n'y a pas de raisons
de ne pas transiger. Il faut donc laisser du temps. De
toute façon, il faut savoir que les entreprises anticipent.
Le client a en général bloqué le paiement des factures,
il les passe en comptabilité. Elles sont dans les comptes
d'exploitation. Le prestataire, de son côté, provisionne.
Deux ans plus tard, les personnes en place ne sont plus
les mêmes. Tout ça se gère et on trouve des solutions.

Pourquoi, certains gros litiges aboutissent
malgré tout devant les tribunaux ?
Parce qu'on ne parvient pas à trouver un accord.
Particulièrement avec les grosses PME. Les litiges sont
plus personnels. La direction générale, les dirigeants
sont davantage impliqués. C'est plus compliqué car ils
veulent faire plier l'autre.

C'est une raison importante mais pas la seule. L'expertise
judiciaire fait partie d'un processus de justice de « riches ».
Les affaires comme IBM / Maif sont donc rares.
Dans d'autres domaines comme le bâtiment ou la
Cette affaire a été mal traitée. Le rapport d'expertise
santé, l'expertise judiciaire est payée par les assureurs.
a été mal rédigé, pas de conclusions claires, et donc
En informatique, l'assurance ne
mal compris par les juges.
paie pas pour le demandeur.
L'expertise a été claire mais
« En période de crise, il n'y a
Celui qui attaque est obligé
pas le rapport. En plus, il y a
pas d'affaires dans le domaine
d'investir beaucoup d'argent.
eu une erreur commise. IBM
Le président de la Cnejita
avait réclamé une pièce, un
informatique. »
(la
Compagnie
nationale
audit réalisé par Accenture sur
des experts de justice en
le fonctionnement de la Maif. Et
informatique et techniques associées), Philippe
cette dernière ne voulait pas le communiquer. Devant
Aymar, envisage la possibilité d'expertises « agiles »,
le juge, l'expert a dit que cet audit n'avait pas d'intérêt,
en contraignant leur budget, et donc leur coût, ce
sans savoir ce qu'il contenait. Ce document, qui sera
qui permettrait de rendre l'expertise plus abordable.
finalement communiqué en appel, démontrait que c'était
On ferait attention aux délais et au budget, ce qui
le « bazar » à la Maif.
donnerait un cadre à l'expertise. On n'investiguerait pas
Cette affaire intervient à une époque où l'on essayait
toutes les pistes, pas tout le périmètre, on irait à l'essentiel.
d'attaquer les sociétés pour dol. Cela ne tient pas la route.

EXPERTISES FÉVRIER 2016

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