La revue RH&M - N°70 - Juillet 2018 - 45

CHRONIQUE du futur

Métamorphose 3 :
Le coût de la transition
La quête du bien-être physique,
voire de l'immortalité, est-elle la
bonne réponse à cette maladie qui
ronge le mental et précipite dans la
nuit un nombre croissant de personnes/patients/malades que nous
sommes bien en peine de traiter/
soigner/considérer ?

Les chiffres révèlent une invisible
mais inquiétante réalité : en 2017,
dans le monde, plus de 300 millions de personnes souffraient de
dépression -la principale cause
d'incapacité (coûtant 1000 mds
USD/an) et de suicide- et plus
de 260 millions présentaient
des troubles de l'anxiété ; le
nombre de personnes atteintes
de démence devrait passer de 44
millions en 2014 à 135 millions en
2050 ; 2 milliards de personnes
auront plus de 60 ans en 2050 et
plus de 20% de celles-ci souffrent
déjà d'un trouble mental ou
neurologique ; 10 à 20% des enfants et adolescents souffrent de
troubles mentaux dans le monde.
Du sens de l'immortalité
Parallèlement jamais la recherche
des moyens permettant d'assurer
l'immortalité n'a mobilisé autant

de talents et de financements (essentiellement privés). Certains
chercheurs espèrent parvenir
à télécharger les personnalités
et souvenirs des mourants dans
des cerveaux électroniques le
temps de leur offrir un nouveau
corps -le cerveau électronique
du Human Brain Project (UE)
pourrait voir le jour d'ici 2023.
D'autres essaient de bloquer le
gène responsable de la sénescence -identifié en 2015 par des
chercheurs suisses- dans l'espoir de nous figer à jamais dans
le corps d'un jeune adulte. Les
transhumanistes croient en un
devenir cybernétique de l'humanité, tandis que d'autres se font
cryogéniser en attendant le jour
heureux de leur résurrection.
Mais cette frénésie de durer ne
semble pas tenir compte d'un fait
pourtant majeur : la lassitude de
l'âme.
De la lassitude
Une lassitude enracinée dans le
constat des mêmes erreurs répétées au fil du temps, des mêmes
discussions autour des mêmes
arguments, des mêmes trames
narratives quel que soit le support... Certes les technologies
changent mais elles écrivent tou-

FABIENNE GOUX BAUDIMENT
Directeur de proGective, Paris
Professeur associé à l'université d'Angers (ISTIA)

jours la même histoire du monde,
encore et encore : la violence des
uns contre les autres, l'inertie des
gouvernements, l'accroissement
de la bureaucratie, le manque
d'empathie envers son prochain,
l'absence de moyens pour réaliser ses rêves... La lassitude de se
battre contre tout : les échéances,
la hiérarchie, le stress... même
après une vie de travail : les petits-enfants grandis trop vite, le
niveau de vie réduit, les parents
trop âgés, la mort de ceux que l'on
aime.
Que pourrait apporter l'immortalité du corps qui vienne à bout de
cette lassitude de l'âme ?
Le coût de la métamorphose
Epuisées par cette fatigue du
réel, de plus en plus de personnes s'avancent dans la nuit
de la dépression : notre société
est malade d'un monde qui refuse de mourir et d'embrasser les
forces vives d'un nouvel avenir.
Ce mal porte un nom : l'acédie,
"une sorte d'impasse de la vie de
l'âme", qui prive de l'élan de l'espérance.
Lors des autres grandes transitions, les guerres, religions et
idéologies ont protégé l'humanité de ce désespoir quotidien.
Aujourd'hui, le réconfort du plus
grand nombre passe moins par la
prière ou la violence que par l'addiction ou ces mondes oniriques
que se fabriquent ceux qui ont
fermé la porte à une réalité devenue intolérable.
Si ces "déments" n'étaient finalement que des rêveurs éveillés,
ne les traiterions-nous pas autrement ?

LA REVUE RH&M N°70 | JUILLET 2018 | P.45



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