La revue RH&M - N°68 - Janvier 2018 - 62

| À VOUS DE LIRE |

Que font les 10 millions
de malades ?
Éditions érès - Clinique du travail

Anne-Marie WASER, sociologue, maître de conférences au Conservatoire national
des arts et métiers (Cnam), co-auteur du livre Que font les 10 millions de malades ?
Vivre et travailler avec une maladie chronique

Le nombre d'actifs malades et qui travaillent ne
permet plus de tenir sous silence cette question
qui dérange car elle « désorganiserait » l'organisation du travail. Pour comprendre comment
vivent et travaillent ces millions de malades, il
fallait mener une enquête explorant à la fois
l'expérience de ces salariés ou indépendants
vivant avec une maladie et la façon dont les
entreprises, les milieux de travail, gèrent les
situations des « personnes ayant des problèmes
de santé ».

Avant d'être indexée à des catégories
médico-administratives, la maladie est d'abord
un éprouvé qui signale que le corps résiste à ce
qu'on lui commande, qu'il ne peut plus faire ce
qu'il faisait avant. La révélation de la maladie
s'accompagne, bien souvent, d'une altération de la vie par la conscience de sa fragilité.
Puisque la fragilité n'a pas sa place dans l'entreprise, la tentation est de la cacher. Faire comme
si de rien n'était. C'est alors une double vie qui
commence et se poursuivra pour tous ceux
pour qui l'horizon n'est pas la guérison mais
la viabilité d'une vie dans la conscience de la
vulnérabilité.

PRIX DU
LIVRE RH 2017
ent,
em
du Syntec Recrut
Sciences Po et
Le Monde

Fluctuations des capacités de travail et fatigabilité caractérisent nombre de maladies
chroniques. Elles obligent à des changements
d'allure de vie afin de réarticuler vie au travail
et vie hors travail, cure et care. Elles affectent
les trajectoires professionnelles, les projets
de vie, les manières de faire, les équilibres
construits entre les différents domaines d'activité dans lesquels le sujet est engagé. Mais si
la maladie signe une réduction des possibles,
un ralentissement de l'existence, une désocialisation, elle est aussi une exaltation des désirs
du sujet, une intensification du rapport à soi et

P.62 | JANVIER 2018 | N°68 LA REVUE RH&M

" Il est essentiel
de sortir du silence
sur ces questions car
la clandestinité des
« malades au travail »
fabrique à terme
de l'exclusion."

aux autres, accélération du temps de l'exister
dans cette vie devenue précieuse, fragile. Au
cœur de l'expérience de la vie avec la maladie
s'inscrivent régulations, arbitrages, compromis à construire et à reconstruire en fonction
de l'évolution de la maladie, des exigences du
monde du travail : changement de métier, de
poste, d'activité, de collègues, aménagements.
La plupart des malades souhaitent se maintenir en emploi ou retrouver un travail non pas
seulement pour l'intérêt financier ou encore
social que revêtent les relations au travail mais
aussi parce que l'activité est un puissant instrument pour lutter contre l'emprise de la maladie.

Réinscrire la question de la maladie dans
l'espace public que constitue le monde du
travail où domine encore l'idéologie de la
toute-puissance, c'est porter la question des
limites, de la vulnérabilité. Et, comme l'indique
une des personnes malades interrogées : « il
est temps d'humaniser le monde du travail ! ».
Les malades ont donc une véritable place dans
l'entreprise.

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