La revue RH&M - N°62 - Juillet 2016 - 66

Le coup de gueule d'Hervé SÉRIEYX L'espérance est une lampe de poche C e soir-là, je broyais du noir. Si nombreuses me semblaient les impasses dans lesquelles, selon mon humeur du moment, s'était, depuis bien des années, fourvoyé le pays, que je ne lui voyais guère, à terme prévisible, un avenir heureux. Soudain, grâce à la Ratp, j'ai retrouvé le sourire. Comme on le sait, le service communication de la Régie a eu la bonne idée de rappeler sur certaines de ses lignes des fragments de poèmes qui donnent à penser, à rêver et nous aident à nous évader du gris des jours. Dans la rame de métro qui me ramenait chez moi, avait été joliment choisi un vers de Pierre Albert Birot, ami de Max Jacob et d'Apollinaire : « L'espérance est une lampe de poche ! »1 Dés lors, tout me devenait clair. Aucune importance si, sur le bien fondé de la Loi El Khomeri, nos deux vedettes économiques mondiales - le Prix Nobel Jean Tirole et le gourou international Thomas Piketty - portent des jugements diamétralement opposés puisque c'est d'abord à chacun d'entre nous, de tenter dans l'action et dans sa zone de responsabilité, d'essayer, avec sa lampe de poche, d'utiliser positivement les textes en vigueur, quels qu'ils soient, pour créer de l'espérance. Le point de vue des grands maîtres est moins important que notre détermination individuelle à tenter d'améliorer les situations particulières dont nous sommes acteurs et où nous pouvons concrètement faire en sorte que ceux qui les vivent y trouvent plus leur compte demain qu'ils ne le trouvaient hier. Mieux, la triste place de notre système éducatif dans le classement international Pisa ( production d'inégalités croissantes, maîtrise des chiffres et des lettres en chute libre, multiplication incompréhensible des aberrations pédagogiques...) m'apparaissait enfin pour ce qu'elle est : le simple effet de cette maladie qui corrompt toute Institution dés qu'elle se prend pour sa propre fin, alors que chacun de nous, quelle que soit sa place -parent, enseignant, élève, adulte engagé dans la vie professionnelle, associative ou culturelle ...est personnellement en charge, là où il est et avec ses moyens, de l'éducation des jeunes de son environnement et de l'espérance qu'elle porte ou qu'elle doit porter. Autre domaine où il ne faut pas se laisser piéger par l'inquiétude : il est vraisemblable que la quatrième révolution industrielle (mariant l'omniprésence digitale, les nanotechnologies, les avancées de la génétique, de l'intelligence artificielle, de la robotique et de l'Imprimante 3D, voire l'ubérisation galopante et l'économie de plateformes) a de bonnes chances de générer une colossale phase de destruction créatrice et de P.66 | JUILLET 2016 | LA REVUE RH&M N°62 mutation du monde du travail ; et l'on peut douter que les acteurs politiques et syndicaux d'aujourd'hui, trop souvent engoncés dans les logiciels d'hier, sachent réguler cette considérable métamorphose de l'emploi. Là encore l'espérance d'une évolution heureuse dépendra d'abord de nos capacités individuelles et collectives à déchiffrer avec nos lampes de poche, là où nous sommes, nos proches environnements opaques et d'y inventer pragmatiquement des solutions neuves d'emploi : le Groupement d'employeurs Vénétis, en Bretagne, qui ne cesse d'imaginer et de mettre en œuvre des solutions d'emplois innovatrices en fonction des mutations des bassins de vie où il intervient, illustre combien ce dynamisme de terrain peut avoir d'efficacité transformatrice. Décidément, Pierre Albert Birot, poète discret et peu connu, se révélait, ce soir-là, , avec le concours de la Ratp, porteur d'optimisme dans un monde qui en a bien besoin : il me rappelait que dans un univers de plus en plus complexe, ce ne sont ni les experts, ni les spécialistes, ni les médias, ni les technocrates, ni bien sûr les politiques (même si chacune de ces fonctions peut jouer son rôle et avoir, somme toute, son utilité) qui allumeront pour nous les plus éclairantes lueurs d'espérance : c'est chacun de nous en tâtonnant avec sa lampe de poche, c'est-à-dire la conscience de sa responsabilité personnelle, le goût de ne pas subir la tyrannie du politiquement correct et de l'aquabonisme environnant et la foi chevillée au corps que chacun peut contribuer à changer son petit bout de monde pour peu qu'il y croit et qu'il s'efforce d'associer à sa quête d'autres porteurs d'espérance. Quand on a beaucoup cheminé, au cours d'une longue vie menée dans les champs du privé, du public, de l'université, du politique et de l'associatif, on est immunisé, pour le temps de vie qui nous reste, contre les discours politiques qui régleraient, une fois pour toutes, nos problèmes de société. Mais on croit de plus en plus à la modestie de l'engagement personnel et solidairement responsable : « Lampes de poches de tout le pays unissezvous ! », c'est la vraie voie de l'espérance. 1 Pierre Albert Birot ; « Poésies 2 1916-1924 » ; éditions Rougerie ; 1992. Hervé SÉRIEYX Vice président national de France Bénévolat

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