La revue RH&M - N°59 - Octobre 2015 - 32

TENDANCES MANAGEMENT / Témoignage

Patrick MARGRON
Directeur du Pôle Développement RH, Groupe VEOLIA ENVIRONNEMENT

Pourquoi la transformation
digitale fait peur ?
C'est une transformation radicale, pas
un saut technologique de plus auquel
on s'adapterait bon- gré mal- gré et qui
serait absorbé par le prochain saut technologique. Elle conduit à d'irréversibles
déplacements et recompositions de la
valeur ajoutée. Valeur ajoutée des produits et des services, donc valeur ajoutée des compétences, des métiers, des
organisations et des entreprises. Déplacements en conséquence des attentes
et des besoins des clients, des salariés
et des citoyens, donc recomposition du
paysage concurrentiel et remise à plat
des stratégies.
Si une culture se définit comme les solutions inventées pour gérer le temps,
l'espace et les relations entre les individus, alors la transformation digitale est
bien une transformation culturelle. Elle
remet en mouvement tout ce qui fait
une culture : la vision du monde et son
interprétation, les comportements et les
codes, les hiérarchies (celles des rôles,
des savoirs) les valeurs, les normes, les
interdits, les rites, la langue. D'où les
peurs et les résistances qui en résultent.
1-Toutes les raisons d'avoir peur ?

P.32 | OCTOBRE 2015 | LA REVUE RH&M N°59

La peur naît de la réunion persistante
de 2 facteurs : le sentiment d'être en
danger et l'inconnu. Ces 2 facteurs
sont ici réunis et constamment renouvelés. Explorons d'abord le premier.
La transformation digitale attaque 3
piliers : Le savoir, le pouvoir, l'identité.
Le savoir : Il est partout et instantanément disponible pour tous. Non
seulement mon savoir est devenu banal mais il devient obsolète plus vite
que je ne le maitrise .Cela concerne
aussi mon savoir-faire puisqu'un autre
que moi avec une imprimante 3D peut
reproduire rapidement et à faible coût
les objets dont j'ai eu tant de mal à maitriser la conception et la fabrication. La
transformation digitale remet en cause
les notions de capital humain et d'atout
concurrentiel et à tout le moins bouleverse leur contenu.
Le pouvoir : la détention et la diffusion du savoir étaient des éléments
importants du pouvoir, ils viennent de
disparaître. Mais l'intermédiation que
représente le pouvoir est en train de disparaitre: l' « autre » n'a plus besoin de
moi pour agir, pour entrer en contact,
il peut penser et agir au-delà de son pé-

rimètre, de mon périmètre et sans mon
autorisation ni mon contrôle. Le digital
bouleverse les hiérarchies actuelles, en
créera de nouvelles et rend obsolète la
logique de « contrôle-commande » qui
reste le repère de bien des managers.
Il est par ailleurs un impitoyable révélateur des process inutiles ou qui ne
marchent pas.
L'identité : Elle devient multiple, instable et de moins en moins privée. Ce
que je sais ne me définit plus, mon utilité sociale est volatile puisque ma contribution au groupe peut disparaitre du
jour au lendemain ; d'ailleurs, à quel(s)
groupe(s) j'appartiens ? La moindre de
mes actions est enregistrée, analysée,
interprétée et sert de matière première
à quelqu'un que je ne connais pas et
qui est susceptible de prendre des décisions ou des options me concernant, y
compris bientôt en entreprise. La transformation digitale remet donc en jeu :
ce que je sais, ce que je peux, ce que je
suis. Normal de se sentir en danger. Explorons l'autre facteur, le sentiment
d'affronter l'inconnu. 3 dimensions
nourrissent ici ce sentiment : Complexité, incertitudes, foisonnement.

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