La revue RH&M - N°59 - Octobre 2015 - 3

FORCES & IDÉES

Ennui au travail : la faute à
l'éducation et au recrutement ?

L

'ennui au travail n'est évidemment pas
un phénomène nouveau : Sénèque et
Courteline fustigeaient déjà, chacun à sa
façon, la sous-activité et le travail absurde.
En 2007, l'ouvrage Diagnose Boreout, de
Rothlin et Werder, jetait une lumière
nouvelle sur le phénomène. Les trois
dimensions du bore out (sous-stimulation, désintérêt et résignation) affectent
à la fois le rapport individuel à l'activité et la production organisationnelle
de l'insignifiance, voire du non-sens.
Paradoxalement, cette sous-stimulation s'avère tout aussi stressante que
la surcharge de travail chronique.

à la fois par le système éducatif et les instances
professionnelles qui, cherchant à attirer les candidats à une formation ou à un emploi, survendent,
parfois très tôt dans le cursus scolaire, les différentes filières et leurs métiers. Les campagnes de
recrutement télévisées, les référentiels
professionnels accompagnant le programme officiel de chaque diplôme, et
le discours que certaines professions
tiennent sur elles-mêmes contribuent
très largement à la naissance d'une
vocation, au choix d'une filière de formation... et aux désillusions en fin de
cursus !

Les politiques de recrutement contriLe bore-out témoigne non seulement
buent à amplifier le phénomène : les
d'un déficit de reconnaissance mais
effets pervers des modalités de recrutePhilippe ZAWIEJA
aussi et surtout du sentiment d'être
ment de la fonction publique sont bien
Chercheur associé à MINES
surcalibré pour l'emploi occupé, donc
connus, où des candidats surdiplômés
ParisTech, Centre de recherches
sur les risques et les crises,
sous-utilisé. Ce qui frappe chez les salatrustent les places de concours théocoordonnateur du Conseil
scientifique et éthique international
riés en bore-out, c'est la reproduction
riquement réservés à des impétrants
du groupe de santé européen
quasi constante du même schéma : des
moins diplômés. Mais les recrutements
ORPEA. Derniers ouvrages
parus : Le burn out (PUF, 2015)
attentes professionnelles forgées parclassiques, sur CV et entretien, ne sont
et Dictionnaire des risques
fois très tôt durant la formation initiale,
pas épargnés par cette course aux
psychosociaux (Le Seuil, 2014).
puis le désenchantement au contact
diplômes - ils sont même l'occasion
de la réalité professionnelle. Je ne parle pas d'une
pour les recruteurs de là aussi survendre le poste
entrée difficile dans la vie professionnelle, mais de
à pourvoir, ses responsabilités et ses perspectives
la confrontation, violente ou sournoise, avec le réel
d'évolution, esbrouffe entamée en amont par les
du métier, du poste, de l'activité et de la tâche.
offres d'emploi publiées et leur langue de bois
involontairement désopilante...
Il incombe certes au salarié de s'adapter - en
contexte de crise et de chômage, cette position
Parce qu'ils interviennent à chaque stade de ces
est d'ailleurs largement intériorisée par les traprocessus, y compris au sein des organisations
vailleurs eux-mêmes, justifiant qu'ils tiennent le
professionnelles, les DRH ont un rôle primordial
coup et s'enkystent dans leur poste, à grand renà jouer en matière de prévention du bore-out. Le
fort de culpabilité. Mais considérons un instant la
défi sera pour eux de continuer à se démarquer
responsabilité et les postures des acteurs collectifs
pour attirer les candidatures les plus adaptées -
dans l'émergence de cette forme de souffrance
une séduction durable, car elle doit se jouer sur le
au travail.
long terme, et non seulement lors du recrutement.
Reste à savoir si le management de proximité et la
D'abord, l'idéalisation des métiers et des persréinjection de sens dans le travail sauront prendre
pectives de carrière est généreusement véhiculée
le relai...

LA REVUE RH&M N°59 | OCTOBRE 2015 | P.3
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