ParaMag - n°357 - Février 2017 - 47

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DOSSIER

En février 2012, Andy Farrington
s'élance en B.A.S.E. jump depuis
le Mandalay Bay Hotel à Las Vegas,
pour un événement Red Bull.
Il est filmé par Luke Aikins qui
sautera derrière lui. Quelques années
plus tard, en juillet 2016,
Luke Aikins franchira avec succès
une autre limite : celle du saut sans
parachute.
Photo Michael Clark/Red Bull

constitue une mise à mort...en sursis.
Inutile de faire appel ici au principe de
«pré-caution». La seule véritable caution
dont nous disposons pour éviter de
mourir écrasés au sol est le parachute
que nous portons sur notre dos. Et tant
qu'il n'est pas ouvert, nous ne sommes
que des morts en sursis ! Ce que nous
sommes de toute façon puisque nous
avons tous 100% de chances de mourir.

Le choix de vivre
En faisant l'action d'ouverture, nous décidons simplement de ne pas mettre un
terme notre vie à ce moment précis,
d'en reporter l'échéance à une date indéterminée. Cet acte est autant réel que
symbolique. Car, si grâce à lui vous augmentez considérablement votre probabilité de rester en vie, il vous faut encore
atterrir et arriver jusqu'au hangar.
Il en va de même lorsque vous allumez
votre système de sécurité, vous déléguez
ce pouvoir de décision à une machine
faite pour vous sauver la vie. Nous choisissons donc de «sur-vivre» à cette
chute. C'est un point particulièrement
important dans notre rapport à la mort,
car il constitue une articulation essentielle avec notre relation à la vie ellemême et ce qu'elle représente pour
chacun d'entre nous.
En effet, si l'on prend le temps d'y
réfléchir, aucun d'entre nous n'a choisi
de vivre, de venir au monde.

Y a-t-il des faits plus parlants et plus
tragiques pour ancrer dans la réalité la
nature létale de notre sport ?

Le B.A.S.E. jump

Un des principaux effets est cette illusion de maîtrise de la vie par le contrôle
sur la mort. Comme je l'ai écrit précédemment, survivre à un saut ne garantit
nullement de survivre au prochain.
Les chiffres parlent à nouveau :
la fréquence des accidents létaux ne
diminue pas de manière linéaire avec
l'expérience. Preuve en est que d'autres
facteurs entrent en jeu.

Les B.A.S.E. jumpers dérangent parce
qu'ils bousculent une vision conventionnelle de la pratique. En s'affranchissant
du cadre institutionnel, ils ne respectent
que les règles qu'ils se sont eux-mêmes
fixées, avec tous les risques que cela
comporte en termes de sécurité. Le
B.A.S.E. jumper est face à lui-même,
libre et pleinement responsable de ce
qui peut lui arriver. Une liberté payée au
prix fort, le cas échéant.

Les parachutistes le savent bien,
le risque zéro n'existe pas et c'est
pourquoi la jouissance liée à l'illusion
de contrôle sur la mort est de courte
durée. Le retour de l'angoisse de mort,
constitutive du rapport à la vie,
nous renvoie à la bataille dont on espère
revenir vainqueur, une fois de plus.
Ainsi s'organise le cycle d'alternance
perpétuelle des phases de stress
(angoisse) et de déstress (jouissance)
dans lequel est pris le parachutiste (8).
Parmi tous les sports dits «extrêmes»,
le parachutisme soulève bien des
passions. Au regard des risques
encourus, un saut en parachute
(en France) n'est pourtant pas plus
dangereux que de que parcourir 80 km
à moto (9). Dans l'inconscient collectif
des non-pratiquants persiste encore
l'idée que le parachutisme est réservé
à ceux pour qui la vie n'a que peu
d'importance (10).

Que dire alors des pratiquants du
B.A.S.E. jump ? Promis à une mort certaine par certains, ils ont encore mauvaise réputation souvent par ignorance,
mais pas seulement. Même dans le milieu du parachutisme, cette pratique est
encore parfois montrée du doigt.

La transgression de l'interdit est aussi
une des motivations plus ou moins
conscientes du B.A.S.E. jumper.

"Quand on se
met à penser
que «le fou
c'est l'autre»,
il y a danger
pour soimême."

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Février17:357
paramag.fr

Ouvrir son parachute nous redonne symboliquement et de manière illusoire le
choix de vivre en échappant à la mort.
Si à chaque saut nous exprimons notre
désir de nous maintenir en vie, certains
d'entre nous ont malheureusement fait
un choix différent. Il y a eu des précédents. Il y eut des accidents qui ne
furent que des actes délibérés d'en
finir avec la vie, d'y mettre un terme.
Ou d'ouvrir volontairement extrêmement
bas. La preuve en est alors retrouvée
avec le déclencheur en position «off».

Bien sûr toutes ces considérations
pourront paraître bien loin de ce qui
défile dans notre esprit lors de nos sauts.
C'est parce que ces enjeux sont inconscients, ils se situent en arrière-plan de
notre pensée. Nous ne pouvons les
appréhender que partiellement,
dans le meilleur des cas, mais nous en
subissons les effets constamment.

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