ParaMag - n°357 - Février 2017 - 39

D'après la légende plus que controversée, le premier fut Dédale, père d'Icare.
Brillant architecte et inventeur, il
construisit à son fils, ainsi qu'à lui-même,
des ailes faites de plumes et de cire pour
échapper au terrible Minotaure. Durant
le vol, Icare fit fondre la cire de ses ailes
en volant trop près du soleil et mourut
noyé dans la mer. Dans cette histoire,
la fin justifie les moyens, si l'on peut dire,
puisqu'il s'agissait de sauver leur vie.
Mais ce n'est pas l'outil qui a perdu
Icare, c'est son désir de voler plus haut
et plus près du soleil, malgré les mises
en garde de son père.
Voilà bien une motivation qui pourrait raisonner en partie avec celles de certains
parachutistes. Platon écrit dans Phèdre
(5) : «La force de l'aile est par nature de
pouvoir élever et conduire ce qui est pesant vers les hauteurs où habite la race
des dieux.»
Alors ce ne serait que cela ? Inconsciemment nous voudrions être l'égal d'un dieu ?
Cela ne se peut, car dans le parachutisme comme dans la plongée sousmarine, l'excès d'orgueil et de confiance
se paye cher. Et si ce trait de caractère
était commun à tous les parachutistes et
les plongeurs sous-marins, il ne resterait
plus grand-monde parmi eux.

Il parle ici de l'impossibilité que nous
avons à élaborer le scénario possible de
notre mort. Si certains souhaitent ne pas
dépasser l'âge de trente ans, beaucoup
ne rêvent que de mourir dans leur sommeil au crépuscule de leur vie ?
Sans doute Icare ne se voyait-il pas
mourir ainsi, lui qui venait d'échapper
au terrible Minotaure. Grisé par l'illusion
d'avoir vaincu la fatalité (nul n'avait
échappé au Minotaure auparavant)
avait-il oublié (refoulé ?) qu'il pouvait être
l'instrument de sa propre mort ?
N'est-ce pas finalement ce que vivent les
parachutistes à chaque fois qu'ils sautent ?
Chaque saut auquel nous survivons
n'implique en aucune façon que vous
survivions au prochain... quelles que
soient les précautions prises.
Statistiquement, le parachutisme n'est
pourtant pas si dangereux. Peu d'accident au regard du nombre de sauts.
Mais de graves conséquences lorsque
cela se produit. C'est pourquoi lorsqu'un
nombre anormalement élevé d'accidents
se produit, la communauté se questionne sur ses motivations et les
modalités de sa pratique.

Les motivations
inconscientes
Quelles sont alors ces motivations inconscientes qui nous poussent à pratiquer au-delà de la beauté du sport ?
Une partie de la réponse pourrait bien
apparaitre au détour d'une statistique.

Le taux de poursuite de la pratique du
parachutisme s'effondre après
les brevets A et B.
Que peut-il bien se passer durant la
progression qui puisse pousser certains
à ne pas poursuivre ? Il existe de multiples
raisons objectives. Le coût monétaire
et l'aspect chronophage de ce sport en
sont certainement les principales.
Mais ce n'est pas suffisant pour expliquer pourquoi les pratiquants renoncent
à ce stade, et après avoir fourni
l'investissement monétaire et temporel
nécessaire pour arriver jusque-là.

DOSSIER

N'en déplaise aux rêveurs et aux poètes,
l'humain n'est ni aérien ni aquatique.
Sinon nous serions équipés d'ailes et de
branchies. Mais l'homme pense et c'est
bien ce qui le distingue du poisson et de
l'oiseau. Grâce à sa pensée, il a pu se
construire des branchies et des ailes
artificielles...et vivre ses rêves.

À cette étape de notre réflexion, Freud
pourrait nous éclairer lorsqu'il annonce
(6): «Le fait est qu'il nous est absolument
impossible de nous représenter notre
propre mort, et toutes les fois que nous
l'essayons, nous nous apercevons que
nous y assistons en spectateurs».

sa vie constitue une mise en danger.
De même qu'évoluer en milieu aquatique
avec ou sans réserves d'air limitées au
fond de la mer, simplement pour le
plaisir de l'exploration constitue aussi
une mise en danger de la vie.

Des raisons plus subjectives participentelles à cette désertion ? Que découvrent
les apprentis durant leur formation ?
Le parachutisme est-il ce qu'ils imaginaient avant d'en faire l'apprentissage ?
Peut-être pas.
Pour le savoir, il faut revenir à ce premier
saut, celui où les appréhensions et les
fantasmes se confrontent à la réalité...
Là où tout a commencé.
Il nous faut ici parler du baptême de saut
en tandem. Vouloir faire sa première
expérience "piège sur le dos" comme
c'est le cas pour le saut d'initiation PAC
est un peu différent, car cela témoigne
d'un engagement déjà prononcé, même
si, en fin de compte, les «ressorts
inconscients» qui agissent sont les mêmes.
Celui qui monte dans l'avion pour la première fois ne peut s'empêcher de ressentir au mieux un peu d'appréhension,
de stress. Ce ressenti que nous caractériserons ici comme de l'angoisse est le «fil
d'Ariane» de la démarche du saut.
Une des fonctions de l'angoisse est de
prévenir le danger.
Un danger lié à un risque pourtant programmé et choisi volontairement dans
notre cas. Nous décidons d'aller vers

À propos de l'auteur

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Février17:357
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Stéphane Blanc a fait son baptême tandem en 2013, puis sa PAC en 2014. Depuis, il jongle entre vie familiale et travail libéral pour se dégager du temps pour
sauter.
Âge et profession : 42 ans, psychomotricien diplômé d'état, au-delà de la rééducation, ce métier lui a permis d'appréhender spécifiquement les apprentissages
moteurs dans les différents sports pratiqués, que ce soit dans le passé ou au
présent. Il est aussi psychanalyste, travaillant aussi bien avec les adultes que les
enfants. La question de la "pulsion de mort", où qu'elle s'exprime, est une
des thématiques qu'il tente d'explorer.
Parachutisme : Brevet fédéraux BPA, B2, Bi4 (en cours d'acquisition), il pratique le vol relatif, et le freefly. Son centre de parachutisme principal est Saint
Florentin, occasionnellement le Luc et Empuriabrava, en Espagne. Il totalise environ 2h30 de soufflerie, réparties entre Aerokart, Windoor et Airspace.
Autres sport et hobbies : kick boxing et full contact (22 ans de pratique dont 10
ans de compétition, ceinture noire 1er dan, moniteur fédéral depuis 12 ans),
plongée sous-marine (niveau 2 CMAS), surf, snowboard et moto.

http://www.paramag.fr

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