ParaMag - n°357 - Février 2017 - 37

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DOSSIER

"La pulsion qui nous pousse à nous jeter d'un avion en vol est comme un fleuve psychique
qui peut se faire aussi bien rivière que torrent."
Un groupe de huit chuteurs vient de quitter le Caravan de Lille-Bondues et amorce une trajectoire fluide
et bien marquée sur le fond du ciel. Photo Antoine Alacusos

Un peu après le début de la Première
Guerre mondiale, Sigmund Freud écrit
(3): «À nous entendre, on pouvait croire
que nous étions naturellement convaincus que la mort était le couronnement
nécessaire de toute vie, que chacun de
nous avait à l'égard de la nature une
dette dont il ne pouvait s'acquitter que
par la mort, que nous devions être prêts
à payer cette dette, que la mort était un
phénomène naturel, irrésistible et inévitable. Mais en réalité, nous avions l'habitude de nous comporter comme s'il en
était autrement. Nous tendions de toutes
nos forces à écarter la mort, à l'éliminer
de notre vie. Nous avons essayé de jeter
sur elle le voile du silence... ».
En quelques lignes, Freud plante un
décor dont l'actualité pourrait résonner à
nos oreilles. Qu'essaye-t-il de nous dire ?
Si ce n'est qu'il nous est impossible de
nous représenter notre propre mort.
Nous savons que nous allons mourir,
mais il s'agit d'un savoir théorique basé
sur l'observation et non sur l'expérience.
C'est à travers la mort des autres que
nous réalisons que nous allons mourir,
mais cela ne nous permet pas de nous
représenter notre propre mort... Car
nous n'en avons jamais fait l'expérience.
Nous ne savons ni quand, ni comment
cela se produira.
Quelle place la mort a-t-elle dans l'esprit
des parachutistes? Ces derniers sont-ils
des «risque-tout» comme tend à le
croire l'inconscient collectif ? Certains
clichés ont la vie dure ! Voilà l'occasion
de leur tordre le cou.

«Sont-ils fascinés par la mort ?» La question peut sembler abrupte, mais

Les parachutistes ne sont pas attirés
par la mort au sens de la vénération.
Les emblèmes affichés à son effigie
constituent tout au moins une forme
d'exorcisme du risque de mourir, tout au
plus une manière d'en rester conscient.
Une piqûre de rappel donc, pour ne
pas perdre de vue ce vers quoi
on ne veut pas aller.

La pulsion
Les parachutistes ne veulent pas mourir,
c'est d'ailleurs ce qu'ils cherchent à
éviter... Alors pourquoi en prennent-ils
la direction si ce n'est pas pour arriver à
destination ?!! Pourquoi vont-ils à sa
rencontre ? Tel un prisme qui décompose la lumière, essayons de mettre à
jour la nature de cette «force» dont nous
parle Yves-Marie Guillaud et qui nous
pousse à nous jeter d'un avion
en plein vol.
Cette force psychique est avant tout
dynamique. On peut la voir comme une
poussée, comme un fleuve psychique
qui peut se faire aussi bien rivière que
torrent. Nous l'appellerons ici la pulsion.
On peut aussi l'imaginer comme un
iceberg dont la partie émergée
constituerait nos motivations conscientes
et la partie immergée nos motivations
inconscientes. Ces deux parties forment
un tout, elles sont liées l'une à l'autre.
Dans le cas de l'iceberg, on peut les
observer et les distinguer si l'on se place
à la surface dans l'eau avec un masque
de plongée et observer l'iceberg dans

son ensemble. Dans le cas du psychisme, c'est un peu plus compliqué...
La pulsion est en partie consciente
et en partie inconsciente.
Les motivations conscientes sont toutes
les raisons objectives et concrètes pour
lesquelles on a choisi de sauter en
parachute, au moins une fois.
Elles varient et évoluent au fur et à
mesure que le parachutiste évolue dans
sa pratique. Il y a des étapes «clé»,
des passages décisifs dans cette
évolution. Particulièrement au début
de la formation. Avant le «baptême»,
les motivations prennent racines dans
les fantasmes et idéaux véhiculés par
l'image médiatique du parachutisme
non pas en tant que sport,
mais en tant qu'acte.
Sauter d'un avion représente souvent
pour le profane un acte extrême dont la
charge d'adrénaline dépasse de loin
celle de n'importe quel manège à
sensations. Il constitue aussi pour
beaucoup un rituel de passage,
une épreuve à traverser à l'occasion
d'événements non anodins.
C'est ainsi que beaucoup de personnes
se jettent d'un avion pour célébrer leur
anniversaire de naissance, ou encore
pour «enterrer» leur vie d'avant mariage.
Dans son livre «Les 101 bonnes raisons
de sauter en tandem» Peter Schaefer
utilise dix fois cette image de l'anniversaire, et aussi celle du mariage (4).
Le symbole est fort : célébrer la vie en
la mettant en danger. Un paradoxe,
qui nous servira de fil conducteur
tout au long de notre réflexion.
C'est souvent ainsi que cela commence
et que l'on se retrouve sur une zone
de saut, habité par ce paradoxe dont
l'intensité ne sera probablement jamais
aussi forte qu'au premier saut. Durant
son baptême, le néophyte va vivre sa

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Février17:357
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Les parachutistes entretiennent une relation particulière et intime avec la mort.
Une relation tabou et silencieuse en apparence, mais dont l'intensité s'exprime
à grands cris sous leur casque.

lorsqu'elle est posée par un parachutiste, elle met en évidence l'ambivalence
des sentiments que la communauté
nourrit à l'égard de la grande faucheuse.
Une relation complexe qui implique chez
les parachutistes une forme d'intérêt
pour la mort, «malgré eux».
Une irrésistible attraction.

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