ParaMag - n°339 - Août 2015 - 20

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LES ACCIDENTS,
ENCORE...

Réflexion sur les accidents, puis réflexion sur les accidents-suite, et
maintenant réflexion sur les accidents-encore : encore un accident
mortel mi-juillet à Grenoble (Saint Etienne de Saint Geoirs) ! Encore un
impact en survitesse avec une très petite voile, 107 pieds-carrés cette
fois-ci !

«On ne dit pas le dernier accident en date, à la vitesse où vont les
choses», était-il écrit le mois dernier car le temps qu'une chronique
soit publiée, on pouvait craindre un nouvel accident. Propos
malheureusement prémonitoire.
«Est-ce un hasard si ces trois accidents ont eu lieu presque
simultanément ?». «Est-ce un hasard - ça ferait beaucoup de mortels
hasards ces temps-ci - si le dernier accident s'est produit avec une
voile de très petite dimension ?». Telles étaient les questions posées
le mois dernier. Que les âmes sensibles ne lisent pas la suite de
cette chronique : on va parler crument, on va parler de la mort.
Il n'y a pas de mortel hasard, doit-on répondre aujourd'hui.
Péronne, Pamiers, Castelnau, Grenoble, on aligne les morts, outre
le miraculé de Lyon. On aligne aussi les chiffres : 99, 75, 71, 107.
Ce sont les tailles des voiles : ce sont aussi les mensurations de la
grande faucheuse.
Le parachutisme est un grand mystère. Un parachutiste canadien
écrivait dans les années 70 : «Au 1er saut tu passes pour un héros,
au 10ème saut pour un gars qui a de gros problèmes et au 50ème saut
pour un malade incurable». Quelle est donc cette force qui nous
attire vers une activité que le vulgum pecus, le commun des
mortels, perçoit comme présentant par nature un risque de mort ?
La mort peut curieusement d'ailleurs y devenir un totem. Ainsi à
Lyon-Corbas, une tête de mort stylisée est dessinée sur le toit et la
porte du hangar, et sur le capot de la voiture de piste dont la
calandre est aussi ornée d'une tête de mort en 3D et les flancs des
lettres BSBD (blue sky, black death, slogan des années 80-90),
lesquelles ponctuent certains écrits corbasiens sur le web.
Doit-on en déduire que les parachutistes développent une
fascination pour la mort ? C'est possible, et c'est peut-être pourquoi
certains disent que seuls les parachutistes peuvent se comprendre
entre eux, ce qui est souvent vrai.
Il est cependant vraisemblable que chaque parachutiste a un
rapport personnel à la mort dont on ne peut guère tirer de
généralités, sauf à retenir que chaque saut en parachute comporte
nécessairement et intrinsèquement une confrontation certaine et
objective à la mort.
Ce n'est pas la seule activité sportive, ou non sportive, à comporter
un risque de mort : alpinisme, et plongée sont les premières à venir
à l'esprit. Cependant, par sa fulgurance, son impossibilité à stopper
un saut après le départ de l'aéronef, son parachute à déployer, la
peur naturelle du vide intégral, il est l'un de ceux qui procurent le
plus le sentiment de frôler la mort.

Août15:339
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Les parachutistes font mentir François de La Rochefoucauld quand
il écrivait que «Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement».
Ils regardent la mort en face. Ils la défient et parfois s'en moquent
comme pour mieux l'exorciser, d'où des têtes de mort sur les
casques et combinaisons.

Par Yves-Marie Guillaud

Alors d'où viennent cette émotion qui nous saisit et cet accablement
qui nous assaille face à cet alignement d'accidents mortels ?
Pourquoi le risque de mort du parachutisme nous paraît-il
acceptable, et en même temps ressentons-nous viscéralement et
confusément un caractère inacceptable à cette façon de mourir en
impactant violemment le sol sous une petite voile ?
Il y a là une apparente contradiction qui rend perplexe. Si l'on
interdit les petites voiles en raison du danger, n'est-ce pas tout le
parachutisme, dangereux par nature, qu'il faudrait interdire ?
Doit-on interdire le pilotage sous voile et ses succédanés
(flares, survitesse, swoop, virages bas, accélérations sous voiles)
en raison du danger, comme l'ont été les ouvertures basses des
années 80-90 ?
Où s'arrête le danger acceptable ? Où débute l'inacceptable ?
Comment définir la limite qu'on pourrait appeler par provocation :
la dead-line ?
Répondre à ces questions en réglementant et en légiférant est
compliqué. On n'envie pas les responsables fédéraux, les
directeurs techniques et les dirigeants des DZ d'avoir à le faire.
Bizarrement, il semble moins compliqué de réfléchir dans une
perspective presque philosophique.
Dans toute activité à risques, on doit accepter les risques inhérents
à cette activité. Mais on cherche à les diminuer. Par exemple, le
parachutisme comporte un risque à l'ouverture du parachute. C'est
inhérent à cette activité. On doit l'accepter. Mais les matériels ont
évolué pour le diminuer : libérateurs, déclencheurs, LOR, et
parachute de secours notamment.
Autre exemple : on accepte les risques du base-jump, car même
s'ils sont objectivement extrêmement importants, ils sont inhérents
au base-jump. Mais les base-jumpers cherchent à les diminuer en
préparant scientifiquement leurs sauts et minutieusement leur
parachute.
Avec les impacts sous voiles parfaitement ouvertes, on assiste à
l'inverse : une large augmentation volontaire du risque, une
recherche d'un risque qui n'est pas inhérent au parachutisme, une
création de risque à l'atterrissage là où le risque de mort lié au
parachutisme devient en théorie le plus faible.
Ce qui choque dans ces accidents en accélération sous voile a été écrit
ici le mois dernier : «Il est insupportable de voir des parachutistes
se tuer ou se blesser gravement à l'atterrissage quand ça pourrait
être évité». Toute la nuance réside dans «quand ça pourrait être évité».
Sans sombrer dans le castrateur principe de précaution, il est
évident que tout ce qui peut être mis en œuvre pour éviter
l'accident est bienvenu. L'aviation applique ce principe depuis son
origine. Ce qui révolte dans cette succession d'accidents, c'est
qu'ils auraient pu, et même dû, ne pas advenir.
On peut néanmoins reconnaître à celui qui veut pratiquer une
activité anormalement risquée au regard des standards du
parachutisme, un certain droit de le faire. Après tout, celui qui veut
prendre un risque de mort pour lui-même, et lui seul, en est le seul juge,
avec cependant deux limites : qu'il soit instruit du risque et capable
de le gérer sans engager la responsabilité d'autrui à son insu.
Ce doit être la décision d'un seul homme n'engageant que
lui-même hors de toute mode et de toute influence. Cependant il
faudra toujours quelqu'un pour recouvrir le mort d'un linceul blanc.
Et ce sera toujours insupportable à faire... ■
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