ParaMag - n°306 - Novembre 2012 - 67

Sécurité

“J’ai la haine ! ”
Propos recueillis par Patrick Passe

La plupart d’entre nous sommes au courant des deux regrettables accidents survenus au sein de l’EFMP (équipe de France militaire parachutiste), en précision d’atterrissage. Le sergent Guillard Anne-Lise et le sergent Hervé Laurence se sont blessées à trois semaines d’intervalle, à la fin de l’été. Pour Anne-Lise et Laurence, les circonstances furent les mêmes et la blessure identique : luxation ouverte de la cheville gauche. Après une immobilisation de la jambe durant quelques semaines, ce sera deux à trois mois de rééducation pour Laurence et 6 mois pour Anne-Lise, car il y a eu plus de dégâts. Toutes les deux sont cruellement privées de leur premier championnat du monde, à Dubaï, au sein de l’équipe de France féminine de PA pour Anne-Lise, et au sein de l’équipe de France féminine de VR4 pour Laurence. En juin dernier, ParaMag a eu le plaisir de publier un article sur Laurence Hervé qui était, à ce moment-là, au cœur de son entraînement de la saison. Laurence y confiait sa profonde motivation et sa détermination à l’avant-veille du championnat du monde à Dubaï. Aujourd’hui, elle nous exprime son amertume. « L’accident s’est déroulé le 3 octobre dernier, à Bouloc, sur une cible de PA gonflable… Cette chère cible que je n'aimais pas beaucoup à cause de ses inconvénients, et que je hais maintenant ! En effet, cette cible est très peu rigide, haute, et les pieds s’y enfoncent. On se fait souvent éjecter tellement elle renvoie l’énergie qu'on lui met dedans. De grosses gamelles arrivent souvent et elle ne pardonne pas si on n’est pas au centre. Ce jour-là, j’arrive dessus, je ne me présente pas pile au centre, mais je ne m’inquiète pas. Je pose proche du bord, là où la cible est encore plus molle. Sous mon poids, le bord de la cible s’affaisse et mon pied gauche s’y enfonce. Je bascule donc sur le côté, mais mon pied reste bloqué. Étant proche du bord, je ne tombe pas seulement de ma hauteur, mais plus bas. À cause de la hauteur de la cible, mon pied fait pivot et je sens un craquement en touchant le sol. La première chose que je regarde, c’est mon pied. Il est à 90 degrés, l’os à nu… et là, un monde s'écroule. Je ne pense pas à ce que j'ai comme blessure ou de savoir si j’ai mal. Je me mets à crier de rage, à répéter « Non, c’est pas possible, pas maintenant, c’est pas juste, j’ai tout gâché ! » Et je demande à ceux qui sont autour de moi de m’excuser auprès de mon équipe... Bref, c’est le cauchemar. Voyant l'état du pied, il est évident que c’est mort pour Dubaï. Je n’ai alors pas réussi à me calmer jusqu’à l’anesthésie générale, 3 heures après, pour l’opération. Avec le réveil, le cauchemar revient. Je suis bien dans un lit d’hôpital, avec un pied en vrac : luxation ouverte avec rupture de ligaments. L’opération s’est bien passée. Je suis envahie par une déferlante d’émotions : la culpabilité, la déception, la tristesse, la frustration… et ça cogite. Ça aurait du être mon premier championnat du monde… Sophie Deremaux me remplacera à Dubaï. Ex-capitaine de l’équipe de France féminine à 4 et championne
Laurence Hervé en précision d’atterrissage sur la cible gonflable utilisée aux championnats de France à Vichy. En prenant du recul, et après l’accident de Anne-Lise et Laurence, on peut cogiter sur la hauteur de cette cible et des éventuelles mauvaises chutes vers l’arrière et au sol qu’elle peut occasionner lorsque l’on se pose tout au bord. Photo Joannick Briand

du monde en 2010, l’équipe ne peut pas avoir mieux comme remplaçante et de plus elle était en place n°1, comme moi. J’ai au moins le soulagement de savoir que l’équipe a toujours les moyens d’être dans la bagarre. Après mon accident, j’étais incapable de lâcher prise. Peu de temps après être rentrée à Gap, j’ai réussi à avoir un dossier pour Capbreton afin d’y faire un stage de rééducation, en espérant pouvoir aller à Dubaï au moins comme remplaçante. Je sais, c’est utopique, mais j’ai l’espoir de bien récupérer d’ici fin novembre. Certains diront peut-être : “Quelle idée de lui faire faire de la PA à cette période, juste avant son championnat du monde ! ” Faire de la PA fait partie de mon travail au sein de l’EFMP. La gestion de mes entraînements au sein de l’EFMP, parallèlement à ceux de l’équipe de France de VR4, n’est pas à remettre en question. Sous le coup de la colère, je pourrais dire que c’est l’utilisation de la cible gonflable qui est à reconsidérer. Mais je n’ai pas assez de recul pour en juger. L’avantage évident de cette cible est qu’elle est transportable. Mais je pense quand même qu’il serait bon de la faire évoluer en réduisant sa hauteur et en augmentant sa rigidité de façon homogène sur toute sa surface. En un instant, tout m’a claqué entre les doigts. Je me retrouve de l’autre côté du rideau, sortie de l’équipe, et sans le parachutisme qui rythme mon quotidien. Aujourd’hui, j’ai la haine. Depuis mon accident, j’ai eu des passages où le moral était très bas, et je n’ai pas fini d’en avoir. Mais je resterai toujours positive avec quelque chose en moi qui me booste à mort. J’ai déjà la rage de reprendre. Ma blessure va se remettre, et sans séquelle normalement. Je vais revenir encore plus passionnée et plus motivée que jamais. J’ai une revanche à prendre. Je vais me servir de cette blessure pour me dépasser et revenir encore plus forte, pour l'équipe. » La cible gonflable n’est pas uniquement utilisée par l’EFMP, c’est avant tout une cible fédérale. La FFP utilise la même. À l’issue de ces deux accidents consécutifs, il se pourrait que l’utilisation ou le concept de cette cible puisse être remis en question. n

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