L’école aujourd’hui Maternelle - n°25 - Janvier 2012 - (Page 14)

Dossier VIVRE LE THÉÂTRE, DE LA SALLE À LA SCÈNE Analyse Du théâtre, pour le plaisir ! Entre imaginaire et réalité, les histoires et émotions qui se jouent sur une scène de théâtre contribuent à aider l’enfant spectateur à apprivoiser ses ressentis et à construire sa relation au monde. l pleuvait ce jour-là sur les bords de Seine. Le vent soufflait. Deux mouettes chantaient et, au loin, arrivait une petite troupe d’enfants qui venait de quitter l’école pour assister à un spectacle théâtral2 sur une péniche, la Péniche-Opéra. “Mes pieds sont mouillés !” clame Arthur à la comédienne qui vient d’entrer sur scène. Il pleut dehors, Arthur est sur une péniche qui tangue légèrement sur l’eau et ses pieds sont mouillés ! Le vent souffle dehors mais voilà qu’il souffle aussi dans le spectacle, il y éteint les lumières et allume les bougies… Dedans, dehors… Dessus, dessous… Éteint, allume… Les frontières se fragilisent le temps d’un spectacle ! Il y est question de rencontre, de crainte, d’étonnement, il y est question de rejet, d’accueil, de solitude, de brin de vie, de brindilles qui construisent la vie. Verlaine est là… Il y est question de sanglots, d’une maman oiseau disparue, soufflée par le vent. Mais comment est-il possible qu’une maman puisse avoir aussi peu de poids au regard du grand vent, alors qu’elle en a tant au regard de son petit enfant ? C’est alors qu’Arthur s’agite, parle de plus en plus fort. Il soulève le rideau de velours noir qui cache le hublot de la PénicheOpéra, qui voile le jour mais aussi l’immensité de l’eau si proche de lui. Il le fait tomber, Arthur trouble le spectacle… Mais Arthur petit garçon de trois ans ne rencontrerait-il pas dans ce temps du spectacle la crainte de voir sa mère disparaître, emportée par le vent ? Ne chercherait-il pas, derrière le rideau noir du hublot de la Péniche-Opé14 L’ÉCOLE AUJOURD’HUI MATERNELLE n°25 I ra, une maman disparue, soufflée par le vent, lui qui se blottira près sa mère, à la fin du spectacle en lui disant : “Maman, je veux toi !” Se laisser prendre au jeu Une observation qui dévoile tout le cheminement psychique d’un tout jeune enfant qui s’est laissé prendre au jeu du spectateur : ce qu’il voyait jouer devant lui, c’était pour de vrai ! Il anticipait, il associait, il cherchait des réponses à ses questions sur la disparition, lui qui, à la fin de la représentation, réussit à mettre en mots son désir vis-à-vis de sa mère. La façon d’être de cet enfant au cours de ce temps théâtral, ses mouvements psychiques agissant dans son corps, montrent à quel point il vivait en lui ce qui se jouait là, maintenant, devant lui ; ses émotions étaient actives et pourtant suffisamment canalisées « Il n’est rien de plus faux, ni rien de plus vrai que le théâtre. C’est très compliqué. Mais c’est la seule énigme bienfaisante dans la vie des hommes : la seule efficace. Tout, au théâtre, est mêlé et emmêlé. Tout est en reflets. »1 pour qu’il ne soit pas envahi par la détresse ou la peur. Il cherchait à comprendre une énigme à laquelle était confronté un tout petit oiseau. Une observation qui reflète la force que le théâtre peut insuffler auprès des jeunes enfants. Au théâtre, on est séparé de quelqu’un qui est présent, qui joue devant nous, pour nous, et non pas avec nous. Le comédien est là avec son corps, sa voix, ses gestes, ses janvier 2012 mots. Il est hors de mon atteinte et pourtant il m’atteint. Il est loin et il est proche. Je suis séparé de lui et il me touche ! Les frontières s’estompent et me voilà dans un espace propice à des rencontres parfois menaçantes, parfois pleines de plaisir, ou les deux en même temps. Et me voilà dans un moment où ce que je vois sur la scène me regarde. Le théâtre jongle avec la proximité et la distance, avec l’intime et le public. Il y a là un espace d’illusion qui évoque l’aire d’illusion que Winnicott décrivait : “Un champ médiateur nécessaire pour l’établissement d’une relation qui ne soit pas de soumission entre l’individu et le monde qui l’entoure.”3 Il introduit un certain jeu entre l’espace du dedans et l’espace du dehors, un écart entre deux réalités. Pour Winnicott, c’est une transition de l’état de “dépendance absolue” vers celui de “dépendance relative” transition potentiellement , douloureuse. L’aire de l’illusion, c’est l’illusion de l’omnipotence. C’est le temps où le tout-petit se croit créateur de son environnement, des ombres et des lumières, créateur de son monde qui lui nomme les couleurs, les musiques, les parfums de ce qu’il ressent. Conjointement opère la désillusion. Rien ni personne ne peut le satisfaire complètement. Il y a un écart à jamais irréductible entre lui et l’autre. La désillusion permet une figuration de l’absence et le maintien de l’impossible. Ce qui est vital dans la démarche de l’individu vers la dépendance relative, ce n’est pas tant “une prolongation de l’expérience de toutepuissance, qu’une prolongation de la capacité de créer”3.

Table des matières de la publication L’école aujourd’hui Maternelle - n°25 - Janvier 2012

Edito
Sommaire
ACTU
- En bref 3 questions à Marie-Laure Guillaumin
- Le billet du médecin Comment fonctionne l’audition ?
- Une année avec… Sonoriser un album
DOSSIER - Vivre le théâtre, de la salle à la scène
- Introduction
- Entretien Dominique Bérody
- Reportage Un rôle pour s’affirmer
- Analyse Du théâtre, pour le plaisir !
- Bloc-notes Découvrir le théâtre
PRATIQUES PÉDAGOGIQUES - Oralité et mise en scène
- Introduction 3 questions à Jacky Biville
- Progressions PS MS GS
- Outils pour la classe
SÉLECTION
- Nouvelles technologies
- Pédagogie
- Coin thématique
- Jeunesse

L’école aujourd’hui Maternelle - n°25 - Janvier 2012

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