MAGAviron - N°32 - Mai/Juin/Juillet 2018 - 36

Histoire

Les rameurs au cœur

de la grande guerre
sanglant : la face n'est qu'un disque vermillon. Plus de
nez, plus d'yeux, je ne vois qu'un trou, un trou énorme
qui hurle... Du sang, partout du sang, j'ai du rouge
plein les yeux. Lorsque je fixe le ciel, j'y vois des tâches
pourpres...».

Le départ du 49e
de ligne de Bayonne
Le départ des troupes est fidèlement rapporté dans
l'Histoire de la Société Nautique de Bayonne, ouvrage
publié en 1994 :
"Ce beau régiment est cantonné à Bayonne et a maintes
fois participé à l'animation de nos manifestations
nautiques. Il quitte la ville sous les acclamations de la
population. Sur la route poussiéreuse, beaucoup accompagnent le régiment ; des hommes, des femmes, des
jeunes filles ; les hommes marchent au pas et les femmes
essuient parfois furtivement une larme ... Il est composé
en majorité de soldats originaires de la région et de
nombreux rameurs. Plusieurs colonnes du journal seraient
nécessaires pour donner la liste complète des sociétaires
mobilisés de la Société Nautique et de l'Aviron Bayonnais ;
il y en a au bas mot, quatre à cinq cents. Tous ont répondu
à l'appel, certains même se sont engagés pour la durée
de la guerre. Il y a eu fort peu d'ajournés ou de réformés,
il n'y a pas d'embusqués." Ce régiment comptera après 4
années de guerre, mille sept cent cinquante tués et quatre
cent cinquante sept disparus.

La France est une gare
La plupart des rameurs qui avaient peut être déjà réservé
leur billet de chemin de fer sur la ligne Paris - Lyon
- Méditerrannée pour se rendre à Décines aux championnats de France, ne se doutaient pas qu'un autre voyage
en train leur serait proposé quelques jours plus tard pour
rejoindre les champs de batailles à partir des gares de
L'Est et du Nord essentiellement.
Joseph Delteil dans "Les Poilus" publié en 1926, donne
une vision réaliste de cette ambiance singulière. "Le 1er
août, la France devient une gare. Chaque colline abritait
un chemin de fer, chaque village une station. De Brest
à Nice et de Dunkerque à Bordeaux, ce n'était qu'un
immense train. Tout le monde prit le train : les territoriaux
le long des voies, les conscrits dans les convois. Les
cerveaux de l'État-Major étaient penchés sur des wagons,
sur des tunnels. L'esprit des mères voyageait sur les
rails...
Tout cela se déversait à Paris. La gare de l'Est était la
gare de France. Dans le brouhaha des grandes fièvres
du monde, les mobilisés cassaient la croûte sur les quais

MAGAviron
Numéro 32
Mai 2018

luisants d'huiles. Ils étaient assis sur les marchepieds des
wagons, sur les ballasts exsangues, dans un déluge de
boîtes de sardines et de belle humeur, les godillots sur le
fromage et le litre de pinard près du cœur, dans un éclair
de couteaux et de dents, gaillards et goguenards, doux et
violents avec leurs larges mains et leurs larges yeux... Le
monde avait cassé sa coque, et l'amande de la vie était à
nue."
Le plan de guerre français est avant tout un plan de
concentration de troupes. Tout avait été soigneusement
planifié par l'état major. La bonne marche des transports,
donc des trains, est cruciale. Tous les trains de tous les
réseaux sont réquisitionnés.
Il faut bien reconnaître que la logistique est un succès
impressionnant. Du 5 au 18 août, 4278 trains vont assurer
le regroupement et garnir le front de troupes. En quinze
jours la mobilisation française est terminée, des centaines
de milliers d'hommes sont ainsi transportés aux frontières.
La boucherie va pouvoir commencer !

L'attaque de la Belgique
Le 4 août 1914, en application du plan dit "Schlieffen",
l'Allemagne envahit la Belgique, pour contourner les
armées françaises par le nord, violant ainsi la neutralité
de ce pays pourtant garantie par les grandes puissances
européennes. Au total, la Belgique avait 117.000 hommes
sous les armes, alors qu'à sa frontière 750.000 militaires
allemands beaucoup mieux équipés se lançaient à
l'attaque.
Les Belges sont des concurrents sportifs redoutables,
mais surtout des amis fidèles et de bons compagnons.
C'est avec eux qu'on a fondé la FISA il y a quelques
années. A la suite de cette agression, le Président de la
fédération française, Albert Glandaz adresse à Monsieur
Grégoire, son homologue et ami Belge, le 7 août 1914, le
courrier suivant :
Mon cher Président, Je vous ai naguère souvent exprimé
toute la sympathie qui liait tous mes collègues de la FFSA
à tous nos collègues de la FBSA. Je suis particulièrement
heureux dans ces douloureuses et glorieuses circonstances de voir cette sympathie qui devient une solide
amitié, s'affirmer sur les champs de bataille. Les rameurs
français sont fiers de se battre aux côtés de leurs collègues belges et de les seconder dans la défense du sol de
leur belle patrie.
Veuillez agréer ...
La réponse du Président Grégoire ne se fait pas attendre :
Monsieur le Président,
J'ai reçu hier votre lettre du 7 août, et au nom de la
Fédération Belge je viens vous exprimer tous mes remer-

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