Centraliens - N°630 - La revue des Arts et Manufactures - Décembre 2013 - 62

Carrières

e s enjeux
du travail

Etes-vous de ceux qui
sentent dans le travail
un besoin de laisser
quelque chose de vous,
de pouvoir faire quelque
chose de personnel,
d'être utile, de voir
des résultats concrets,
de construire quelque
chose qui perdure ?
Avez-vous remarqué
que souvent le métier
est présenté comme
une part de son identité ?
La réponse à ces questions
est souvent l'affirmative.
Mais cela s'explique-t-il ?
Y aurait-il un lien avec ces
observations qui interrogent ? :
es dépressions pouvant aller jusqu'à une
L
atteinte du sentiment de soi dans des cas de
« mise au placard »,
es pertes d'élan vital, les effets de pétrifiL
cation dans certains postes où le travail est
entièrement formaté, « procéduré » comme
c'est le cas dans certains centres d'appel par
exemple : «  tu montes dans ta voiture le soir,
tu n'as plus rien, ni mal au ventre, ni envie de
vomir....je me suis habituée à un conditionnement, à n'être rien »1,
 ertaines réactions passives ou violentes
C

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Et si le jeu créatif du bébé
permettait de l'éclairer...
suite à des réorganisations entraînant des
changements brutaux de métiers,
'augmentation du stress pouvant aller
L
jusqu'au «  burn-out  » dans certains types
d'organisation du travail.
 u à l'inverse des organisations qui
O
semblent favoriser particulièrement l'énergie au travail et la créativité.
Une des pistes pour comprendre ces phénomènes serait la poursuite d'un processus qui
démarre vers l'âge de 6 mois...
...et qui ouvre un nouveau champ d'investigation pour limiter les risques psycho-sociaux,
faciliter la créativité de chacun et augmenter le
potentiel innovant de nos entreprises.
En effet, à la suite des travaux de Donald W.
Winnicott (1896-1971), célèbre psychanalyste
anglais ayant essentiellement travaillé autour
de la petite enfance2, et de Gérard Mendel, psychanalyste et sociologue (1930-2004), on peut
supposer que se rejoue ou se poursuit au travail, un processus essentiel de construction
de notre identité, de notre sentiment d'être
(en psychanalyse on parle de construction
du « sujet »). Il s'agit du processus du jeu3 qui
contribue à la construction du sentiment de
« soi » du tout petit (entre 6 mois et 18 mois).
Observons un petit enfant qui joue avec un tissu, du sable ou un peu plus tard avec de la pâte
à modeler, par exemple, pour nous permettre
de comprendre ce processus et d'en identifier
les éléments principaux.
Jouer est tout d'abord une confrontation à la
réalité dans un espace («  transitionnel  ») où
l'enfant a le sentiment que son jeu est créatif
c'est-à-dire qu'il crée cette « partie du monde »
avec laquelle il entre en contact, le tissu, le sable

ou la pâte à modeler dans notre exemple. Ce
sentiment de créer le monde lui est nécessaire
pour ne pas se sentir menacé par lui. C'est en
quelque sorte comme s'il apprivoisait la réalité
en la faisant en partie sienne, et cela au travers d'une implication sensible corps. Dans
notre exemple l'enfant touche, plie, tripote ou
malaxe.
Pour que le processus puisse se dérouler et être
constructeur, le rôle de la « mère » (ou de la
personne qui tient cette place : la « figure maternelle ») est déterminante.
Tout d'abord pour permettre que le jeu s'installe, une condition préalable est que l'enfant
se sente dans un niveau de sécurité suffisante
pour prendre le risque d'aborder la réalité. Il
s'agit là du rôle de contenant sécurisant de
la mère qui aura débuté bien avant la période
dont nous parlons. Puis, c'est par son regard
bienveillant sur le jeu de l'enfant et par exemple
le début de forme qui émerge, que l'enfant voit
en « miroir », dans le regard de sa mère, que
ce qu'il a fait existe bien - comme un « accusé
de réception » de sa création - et en ricochet
qu'il est l'auteur de cette création. Winnicott a
mis en avant le fait que ce type d'expérience est
essentiel dans l'émergence du sentiment de soi
de l'enfant et que ce processus est à l'œuvre la
vie durant.
C'est Gérard Mendel qui le premier a repris
l'idée que ce processus continue d'être actif particulièrement dans le cadre du travail, un des
lieux privilégié de confrontation à la réalité.
Mes travaux m'ont amenée à poursuivre cette
piste en proposant notamment le « modèle »
résumé ici. Ce nouvel éclairage, confirmé
par de nombreuses observations, permet de

Centraliens no629 [octobre/novembre 201
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Centraliens - N°630 - La revue des Arts et Manufactures - Décembre 2013

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