Une société de communication ? -5 - (Page 70)

LE MYTHE « SOCIÉTÉ DE COMMUNICATION » précises, et bavardes (Alberganti et Georget, 2008) ! Elles peuvent individualiser chaque exemplaire vendu et non plus un type d’article. L’acquéreur pourra donc en être suivi à chaque fois qu’il passera près d’une borne de lecture dans un magasin. Porteur, sans toujours le savoir, d’un « boisseau » de puces insérées dans un manteau, une carte de crédit, une cravate en soie, tout entrant dans un magasin peut voir son pouvoir d’achat analysé, ses mouvements suivis. Le fantasme de traçabilité permanente produit par les scanners visuels du ﬁlm Minority Report n’aura pas à attendre 2054 pour se réaliser. Selon le mot de David Lyon (1994), l’homme occidental se compose désormais « d’un corps, d’une âme, et d’une carte de crédit »... et les relevés de cette dernière – complétés si besoin des traces laissées par une carte de transport de type Navigo, le pass magnétique de l’entreprise, les caméras de vidéosurveillance et la géolocalisation du téléphone portable – permettent de repérer où se déplace le corps, et en large partie ce qui attire « l’âme », à travers la consommation des marchandises et des services, les lieux de sociabilité. Il n’est même pas besoin d’un Big Brother étatique ou d’entreprise pour que s’accumulent, librement alimentés, des stocks de données sur chacun sur des sites webs ou réseaux sociaux, engendrant parfois la déplaisante surprise de voir sortir lors d’un entretien d’embauche (ou de licenciement) le cliché d’une soirée arrosée, ou l’opinion vive laissée sur un blog. L’expansion de ces systèmes panoptiques dont n’aurait pu rêver Bentham a donné naissance à des entreprises de nettoyage des traces compromettantes sur la Toile, répondant à des raisons sociales comme « Reputation Defender ». Ces risques expliquent aussi la création en France en 1978 d’une commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), destinée à contrôler les menaces que l’information ainsi centralisée peut faire peser sur les libertés. Son président, Alex Türk, observait en 2008 : « Nous sommes en train de glisser, dans le silence, et probablement dans l’inconscience, vers un mode de civilisation numérique de plus en plus dangereux ». En sens inverse, mais toujours contre les promesses du mythe, il est aussi possible de soutenir que le développement annoncé d’une société transparente n’a guère enrayé ni l’opacité objective, ni le sentiment d’inintelligibilité qu’inspirent aux citoyens de vastes pans du monde social. Cette opacité du social a de multiples origines. Elle vient de la complexité d’un monde dont la « globalisation » se heurte au processus inverse de « sectorisation » en de multiples sous-univers 68

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