Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 43)

INTRODUCTION GÉNÉRALE 25 66. Ceci étant, la liberté de l’interprète authentique n’est qu’une liberté juridique, conférée par le système juridique. Elle ne signifie pas que la décision de l’interprète soit soustraite à tout déterminisme. Bien au contraire, l’acte d’interprétation est enserré dans un réseau de contraintes122. D’une part, la structure de la motivation des décisions judiciaires limite le pouvoir des juges : ceux-ci dissimulent leur pouvoir normatif en présentant leurs décisions comme déduites de principes généraux considérés comme objectifs. Or, pour que ces principes aient une véritable portée, il faut qu’ils soient invoqués dans de multiples jugements. Les juges sont donc liés par les justifications qu’ils ont euxmêmes créées. D’autre part, les conditions dans lesquelles fonctionne la justice empêchent également les juges de faire usage de leur liberté juridique123. Tout interprète authentique s’insère en effet dans un système complexe où il entre en concurrence avec d’autres interprètes authentiques : l’interprétation, n’est donc pas unilatérale mais collective. Chaque interprète doit tenir compte de celle des autres organes. Par exemple, le président de la République peut interpréter librement les termes de l’article 16 mais il doit tenir compte des moyens d’action du Parlement qui peut lui aussi interpréter librement l’article 68 et considérer que l’usage qu’a fait le président de ses pouvoirs de crise constitue un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat »124. 67. Ainsi la théorie des contraintes permet-elle de rendre de compte du fait que s’il n’y pas d’inférence de la validité, il peut néanmoins y avoir validité de l’inférence. La norme individuelle n’est pas valide parce qu’elle a été logiquement déduite d’une règle générale. Dans une conception volontariste, elle ne doit sa validité qu’à l’acte de volonté qui l’a produite. Néanmoins, cela n’empêche pas qu’il soit possible d’apprécier la validité, la rationalité du raisonnement. Par exemple, si le juge justifie une sentence condamnant Monsieur Dupont à dix ans de prison en invoquant la règle générale selon laquelle les voleurs doivent être punis de dix ans de prison, ainsi qu’en établissant que Monsieur Dupont est un 122. M. TROPER, « Réplique à Denys de Béchillon », op. cit., p. 270 ; v. aussi, du même auteur, « Fonction juridictionnelle et pouvoir judiciaire », Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1994, op. cit. ; « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », op. cit. ; « La liberté d’interprétation du juge constitutionnel », Interprétation et droit, sous la dir. de P. Amselek, Bruylant-Bruxelles, PUAM, 1995, p. 235-245, également publié dans La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, coll. « Léviathan, 2001, p. 85-97 ; « L’interprétation constitutionnelle », op. cit., p. 13-25. V. encore : Théorie des contraintes juridiques, sous la dir. de M. TROPER, V. CHAMPEIL-DESPLATS, C. GRZEGORCZYK, Bruxelles-Bruylant, Paris, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 2005. La contrainte ne doit donc pas être confondue avec l’obligation. Cette dernière, à la différence de la contrainte, suppose l’existence d’une règle juridique. H.L.A. Hart avait insisté sur cette distinction, en faisant observer qu’on peut « être contraint » (« être obligé » selon les termes exacts du théoricien oxonien) par un gangster, mais on « n’a pas d’obligation » vis-à-vis de lui. En outre, au sein des contraintes, il convient de distinguer les contraintes non juridiques, qui sont en dehors de l’objet du droit, et les contraintes juridiques, qui sont des situations de fait résultant de la configuration du système juridique. La contrainte juridique peut exister sans l’obligation : par exemple, en France, le président de la République est contraint de nommer le Premier ministre appartenant à la majorité parlementaire, et pourtant, il n’a aucune obligation juridique en ce sens. Sur ce point, V. C. GRZEGORCZYK, « Obligations, normes et contraintes juridiques. Essai de reconstruction conceptuelle », Théorie des contraintes juridiques, op. cit., p. 25-42. 123. M. TROPER, « Fonction juridictionnelle et pouvoir judiciaire », op. cit. 124. M. TROPER, « L’interprétation constitutionnelle », op. cit., ici p. 19.

Table des matières de la publication Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1

Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1