Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 41)

INTRODUCTION GÉNÉRALE 23 60. Mais les formulations linguistiques utilisées par les règles juridiques sont dotées d’une pénombre de doute, d’une texture ouverte, qui rend leur application difficile. Ce sont les cas difficiles (hard cases). Par exemple si, sur la grille d’un parc, on peut lire « interdit aux véhicules », il est clair que le promeneur qui désire garer sa voiture à l’intérieur du parc tombe sous le coup de l’interdiction. Mais qu’en est-il du cycliste, du jardinier qui veut tondre la pelouse avec son tracteur, de l’enfant qui conduit une petite voiture à moteur, des ambulanciers qui doivent entrer pour porter secours à quelqu’un ? On peut donc distinguer trois types de cas difficiles, selon qu’ils résultent de l’obscurité ou de l’ambiguïté de la règle, de son absence (c’est le problème des lacunes) ou de son incohérence (c’est le problème des antinomies). Les organes d’application doivent alors faire usage d’un pouvoir discrétionnaire. Ainsi existe-t-il, à côté des sources formelles de droit, des sources « facultatives » qui sont pour l’essentiel des « bonnes raisons » sur lesquelles le juge peut s’appuyer pour fonder sa décision. Ces sources ne font pas partie du système du droit car elles ne sont pas contenues dans la règle de reconnaissance établissant les critères de validité des règles juridiques du système114. 61. Dans le prolongement de la Théorie pure de Hans Kelsen, la conception hartienne, acceptée par la majeure partie de la doctrine115, peut ainsi être qualifiée de mixte : l’acte juridictionnel reste un acte de connaissance dans les cas clairs et devient un acte de volonté dans les cas difficiles. Elle se présente donc comme « une voie médiane »116 entre la conception exclusivement syllogistique du raisonnement judiciaire, qui postule l’exhaustivité des règles générales, et un volontarisme total, pour lequel les jugements et autres actes d’application ne sont que les produits de la volonté et non des solutions mécaniquement déduites des règles générales. SECTION 3 APPROCHE DU SUJET 62. C’est à une conception volontariste du droit plus radicale que nous nous rallions : la théorie réaliste de l’interprétation (§ 1). Délaissant donc le terrain de l’épistémologie, il nous faut revenir dans le champ de la science du droit. Notre recherche sur les règles générales en droit public français reposera sur la distinction de la généralité absolue et de la généralité relative des règles juridiques (§ 2). 114. Pour Hart, toutes les règles valides du système juridique, soit primaires (portant directement sur des comportements humains), soit secondaires (relatives aux normes primaires) sont reconnues à la lumière d’une règle de reconnaissance ultime qui fournit les critères de validité de toutes les règles du système tout en n’étant elle-même ni valide, ni invalide, et qui est au fondement de tout ordre juridique. À la différence de la norme fondamentale kelsénienne, présupposition ou fiction, la règle de reconnaissance ultime constitue un fait social. V. H. L.A. HART, Le concept de droit, op. cit., p. 138 : « La règle de reconnaissance n’existe que sous la forme d’une pratique complexe mais habituellement concordante, qui consiste dans les fait que les tribunaux, les fonctionnaires et les simples particuliers identifient le droit en se référant à certains critères. Son existence est une question de fait ». 115. Avant Hart, Portalis dans son discours préliminaire au Code civil déclarait que « ce serait une erreur de penser qu’il pût exister un corps de lois, qui eût d’avance pourvu à tous les cas possibles » et souligne la nécessité d’une jurisprudence, à qui il faut « abandonn[er] les cas rares et extraordinaires, qui ne sauraient rentrer dans le plan d’une législation raisonnable », justifiant par là l’article 4 du Code civil. 116. J.-C. BILLIER et A. MARYOLI, Histoire de la philosophie du droit, Paris, Armand Colin, coll. « U-Philosophie », p. 275.

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