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18 LES RÈGLES GÉNÉRALES EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS Gény90, qui s’attaque au « fétichisme de la loi écrite et codifiée »91 et critique le modèle syllogistique de subsomption auquel était réduite la fonction juridictionnelle. La pensée de Léon Duguit mérite également de retenir l’attention92. 47. Aujourd’hui, l’idée que le droit ne peut être réduit au droit posé est défendue par le philosophe et juriste américain Ronald Dworkin, selon lequel le système juridique n’est pas seulement composé de règles mais aussi de principes93. Les principes sont des normes générales implicites formant une doctrine éthique et politique, un ensemble de valeurs morales, qui fonde et justifie le droit en vigueur. Ronald Dworkin présuppose que tout système juridique est cohérent et qu’il n’existe qu’une doctrine éthique et politique dans chaque système juridique national. Par conséquent, les principes peuvent, selon Dworkin, être induits du droit existant94. Dans les cas difficiles (hard cases), ceux où il n’y a pas de règle de droit préexistante à même de dicter une solution au juge, ce dernier ne crée pas pour autant le droit, il le trouve dans les principes qui viennent combler les lacunes éventuelles du droit écrit : même les cas qui échappent aux prévisions du législateur ont une right answer, suggérée par les principes. Les juges n’ont donc pas de pouvoir discrétionnaire au sens fort, mais seulement une forme très atténuée de pouvoir discrétionnaire, du fait qu’il leur faut exercer leur propre faculté de jugement du mieux qu’ils peuvent pour appliquer comme il convient les principes et les règles. 48. « Le noyau de la philosophie juridique de Ronald Dworkin, écrit le professeur Riccardo Guastini, est une réaffirmation du « noble rêve » de la culture juridique américaine, c’est-à-dire la prétention (ou la croyance) que les juges appliquent à chaque affaire exclusivement un droit déjà existant sous la forme de normes générales abstraites »95. L’acte d’application est encore conçu chez Dworkin comme un acte de connaissance mécaniquement déduit d’une norme générale préexistante96. 90. F. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Essai critique (1899), avec une préf. de R. Saleilles, Paris, LGDJ, 2e éd., 1932 ; Science et technique en droit privé positif, publié en 4 vol. entre 1913 et 1924. 91. Ibid., p. 70. 92. V. infra, 1re partie, titre II, chapitre 1, section 1, § 1. 93. R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, chapitre 2, « Le modèle des règles I », trad. française de Taking rights seriously, 1977, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1995, p. 79, spéc. p. 80 : Ronald Dworkin illustre sa thèse par l’affaire Riggs v. Palmer (1889) : après avoir tué son grandpère pour recevoir son héritage et purgé sa peine d’emprisonnement pour l’assassinat de son aïeul, un petit-fils réclamait son droit à l’héritage. La cour fit appel au principe selon lequel personne ne peut profiter de sa propre imposture, et l’assassin ne reçut pas l’héritage. Sur Ronald Dworkin, v. notamment le dossier qui lui est consacré dans la revue Droit et Société, 1985/1 et 1986/2, en ligne sur le site http: //www.reds.msh-paris.fr ; v. aussi : S. CAUDAL (dir.), Les principes en droit, Actes du colloque organisé les 13 et 14 déc. 2007 par l’Équipe de droit public de l’Université Lyon 3, Paris, Economica, coll. « Études juridiques », n° 30, 2008. 94. Afin d’illustrer le travail juridictionnel, Ronald Dworkin utilise la métaphore du jeu littéraire. De même que le monde de David Copperfield n’est pas un monde de papier, réductible aux pages écrites par Charles Dickens, le droit n’est pas un univers purement linguistique, réduit aux seules dispositions juridiques écrites. Pour savoir si David Copperfield était homosexuel – ce que Charles Dickens ne dit pas – il faut confronter cette proposition à tout ce l’on sait de lui, c’est-à-dire tout ce qui a été sur lui écrit par Charles Dickens. Le juge doit lui aussi résoudre un cas difficile en fournissant une interprétation qui s’accorde avec tout ce qu’il sait par ailleurs. Il est comme l’auteur dans l’entreprise imaginaire de roman produit à la chaîne par plusieurs écrivains. Comme il ajoute un chapitre, il doit le faire d’une manière compatible avec l’identité et l’intégrité de l’histoire écrite jusqu’ici. 95. R. GUASTINI, « Théorie et ontologie du droit chez Dworkin », Droit et société, 2/1986, en ligne sur le site http: //www.reds.msh-paris.fr 96. Sur la distinction des normes et des règles, v. infra, § 2, A.

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