Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 311)

LE RAPPORT DE SPÉCIALITÉ 293 865. C’est aux organes d’application du droit, et en particulier au Conseil d’État pour ce qui est du droit public, qu’il revient de décider de l’existence d’un conflit entre deux règles et de la nature du rapport qui les lie. Contraint de donner une solution à chaque litige, le juge administratif n’hésite pas à appliquer la maxime lex specialia generalibus derogant à des normes qui ne paraissaient pourtant pas entretenir un rapport d’espèce à genre, leurs champs d’application respectifs ne faisant que se croiser. Le juge administratif n’hésite pas non plus à aller à l’encontre de l’opinion commune en refusant le label de règle spéciale à telle ou telle norme, pour diverses raisons. Certaines sont ponctuelles, comme celle de faire échapper l’administration à l’obligation de motivation de ses actes administratifs. Pour l’essentiel, c’est la volonté de limiter les dérogations, qui viennent compliquer l’état du droit en vidant les règles générales de leur contenu, et risquent de porter atteinte à l’égalité entre les citoyens, qui explique que le juge restreigne le champ d’application des règles spéciales voire refuse d’admettre l’existence de certaines d’entre elles. SECTION 2 LES CONSÉQUENCES DU RAPPORT DE SPÉCIALITÉ 866. L’identification d’un lien de spécialité entre deux normes a trois issues possibles. Contrairement à l’idée que la règle spéciale déroge nécessairement à la règle générale – lex specialia generalibus derogant – l’étude de la jurisprudence révèle que la règle spéciale peut non seulement exclure l’application de la règle générale mais aussi être appliquée de façon cumulative ou encore alternative avec la règle générale. C’est l’autorité normative, généralement le juge, qui décide de l’application exclusive de la règle spéciale ou au contraire de son application cumulative ou bien alternative avec la règle générale. 867. Tout d’abord, le rapport de spécialité n’est pas nécessairement une relation d’opposition. La règle spéciale peut tout à fait compléter la règle générale, concourir à son application. Ainsi la lex singularis se distingue de la lex specialis, la première prolongeant la règle générale dans ses applications particulières, la seconde dérogeant à la règle générale69. Par exemple, AJDA 2005, Dossier : débat sur l’avenir du dualisme juridictionnel, p. 1770-1777, spéc. p. 1775. L’auteur affirme également que « c’est presque un concept de géométrie dans l’espace qui fait qu’un acte administratif ne peut être réputé illégal sur le fondement d’une législation insusceptible de s’appliquer à des hypothèses de la nature de celles que cet acte régit. Pour le reste, l’indépendance des législations relève plutôt de la géométrie plane et de la distinction entre les lignes (et les législations) parallèles, qui par définition ne se rencontrent pas, et celles qui se croisent. À ceci près que le juge a un pouvoir d’appréciation et même de définition de ce qui est parallèle et indépendant et de ce qui ne l’est pas ». 69. V. H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, Paris, Litec, 4e éd., p. 297 : « La loi spéciale, ad speciem, ou bien prolonge la loi générale dans ses applications particulières, ou bien crée une zone dérogatoire à la loi générale pour des espèces déterminées ». V. aussi : R. GASSIN, « Lois spéciales et droit commun », D. 1961, chron. XVIII, p. 91 : « Peu importe qu’une loi déroge à la règle générale ou se borne à l’appliquer : le seul fait que son champ d’application est plus limité suffit à lui attribuer le caractère de loi spéciale. ». V. encore : A. JEAMMAUD, Les oppositions de normes en droit privé interne, op. cit., p. 610 : « Toute relation entre une règle spéciale et une règle générale n’est pas nécessairement relation de contrariété ».

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