Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 301)

LE RAPPORT DE SPÉCIALITÉ 283 1807, le Conseil d’État soulignait déjà que « dans les affaires qui intéressent le Gouvernement, il a toujours été regardé comme nécessaire de s’écarter de la loi commune par des lois spéciales », et excluait l’application intégrale du Code de procédure civile dans les affaires concernant la régie de l’enregistrement et des domaines23. 838. Cependant, l’assimilation du droit civil au droit commun est marquée par une profonde « ambiguïté »24. Dans la France de l’Ancien Régime, caractérisée par la très grande diversité des coutumes, le droit commun est celui qui s’applique sur l’ensemble du territoire. Mais avec le Code civil de 1804, le droit, désormais unifié sur le territoire national, rend impossible l’existence d’un droit commun, celui-ci supposant une pluralité de droits25. Le concept de droit commun a donc été amené à changer de signification : « Il a quitté le territoire géographique pour se réfugier dans le territoire idéel »26. Ce n’est plus le territoire mais la matière qui sert de « matrice »27 aux autres divisions du droit : le droit civil est conçu comme le droit commun à toutes les situations et relations juridiques du pays. Selon Portalis, le Code civil « régit l’universalité des choses et des personnes »28. 839. Pourtant, d’après le professeur Jean-Pascal Chazal, l’ambiguïté de la fonction de droit commun a été décelée dès les discussions des premiers articles du Code civil : l’insertion de dispositions relatives à la publication, aux effets et à l’application des lois en général, a été critiquée au motif que de telles dispositions n’appartenaient pas spécifiquement à la législation civile. De par son objet, le droit civil peut difficilement constituer le droit commun applicable à toutes les situations juridiques : il a donc été imposé comme le droit commun. C’est par un artifice, entendu comme une création de la pensée humaine29, que le statut de droit commun lui a été accordé. Conscients de cet artifice, certains auteurs voient d’ailleurs le droit commun non plus dans le seul droit civil mais dans le droit privé, voire dans l’ensemble des principes généraux du droit : « le droit commun déborde le droit civil »30. 23. J.-B. DUVERGIER, Collection complète des Lois, Décrets, Ordonnances, Règlemens, Avis du Conseil d’État, t. XVI (1806-1809), 2e éd., Paris, 1836, p. 128. 24. J.-P. CHAZAL, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les droits spéciaux », Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Études de droit de la consommation, Paris, Dalloz, 2003, p. 279-309, ici p. 281. V. aussi : C. GOLDIE-GENICON, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, op. cit., p. 2-6. Sur le concept de droit commun, v. notamment : R. GASSIN, « Lois spéciales et droit commun », D. 1961, chron. XVIII, p. 91-98 ; J. GAUDEMET, « Du ius commune au droit communautaire », Clés pour le siècle, Paris, Dalloz, 2000, p. 1011 ; J.-L. HALPÉRIN, « L’approche historique et la problématique du jus commune », RIDC 2000-4, p. 717-731 ; F. POLLAUD-DULIAN, « Du droit commun au droit spécial – et retour », Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Aspects actuels du droit des affaires, Paris, Dalloz, 2003, p. 925 ; M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, « La méthode du droit commun : réflexions sur la logique des droits non codifiés », RHFD 1990, p. 133. 25. J.-P. CHAZAL, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les droits spéciaux », op. cit., p. 283. 26. Ibid. 27. Ibid., p. 284. 28. Cité par J.-P. Chazal, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les droits spéciaux », op. cit., p. 284. 29. Ibid., p. 288 : J.-P. Chazal estime que « les droits spéciaux sont artificiels, non pas qu’ils seraient dépourvues d’existence, mais en ce qu’ils sont rien de plus qu’une structure abstraite, qu’une division mentale de la matière juridique ». 30. Ibid., p. 286.

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